Etude du sens du toponyme « ILLIBERIS » et des homonymes



par Michel SAUVANT


PREAMBULE


Cet article est volontairement plus approfondi que celui paru dans Nissaga en novembre 2007. Il doit en effet servir de référence, facile à retrouver, pour ceux qui défendront avec moi cette thèse qui bousculera certaines idées, devenues faute de recherches nouvelles des « idées reçues ».
Pour ceux qui n’ont pas assez de temps, il y a un résumé de l’article dans la conclusion.

RAPPELS DE FAITS CONSIDÉRÉS COMME CERTAINS

- « Illiberis » est le plus ancien nom connu de la ville d’Elne.
- En fin du 1er s. avant .J.C , ce nom est cité pour la première fois par l’historien latin Tite-Live, dans un récit du passage du général carthaginois Hannibal en 218 av.JC.

- Au milieu du 1er s. après J.C., Pomponius Mela cite « vicus Eliberri » (= village d’Eliberri).
- Vers 70 après J.C., Pline l’Ancien fait de même sous la forme « oppida Illiberis » (= place fortifiée d’Illiberis). Comme le précédent il parle de vestiges d’une ville prestigieuse. Ceci s’explique peut-être par le fait que les Romains avaient délaissé Illiberis pour Ruscino après leur conquête vers 125 avant .J.C.

- Au début du 1er s. après J.C. le géographe grec Strabon cite aussi « Ilibirris ». Le géographe grec Ptolémée parle de Illiberis au 2e s.
- Dans la Table de Peutinger, qui est une copie de copie d’un document antique, le nom est Illiberre.
- On voit que la graphie varie et il se peut que certains auteurs ne fassent que s’inspirer des autres.

- Dans les années 330 à 350 après J.C. le nom d’Illiberis a été remplacé par le nom de Castrum Helenae (= place forte d’Hélèna),  du nom d’une Hélène qui était célèbre à plusieurs titres : mère de l’empereur romain Constantin, nommée par lui « Augusta », qu’on peut traduire en «impératrice mère», et enfin «découvreuse» d’un morceau de la Sainte-Croix à Jérusalem . Hélène est plus tard devenue une des diverses Saintes Hélène.  
- Plus tard, sur plusieurs siècles, le nouveau toponyme a ensuite évolué vers celui d’Elne.
- Ainsi les premières mentions parlent d’une ville des environs de l’an 200 avant J.C. Les premières traces d’habitat à Illiberis sont datées du 6e s. av. J.C. par les archéologues.
- Enfin ceux-ci ont aussi attesté du fait que le cours du Tech a été très variable jusqu’au Moyen Age tout autour de la ville.

RAPPELS DE FAITS ENCORE OBJETS DE RECHERCHE

- Illiberis pourrait avoir été nommée ainsi avant le 6e s. par des populations difficiles à identifier.

- On ne connaît pas bien les mélanges de peuples qui se sont faits dans les 1500 ans avant J.C. dans le Roussillon et la péninsule ibérique. Le schéma dynamique simplifié admis en général fait apparaître :
 
? un substrat ancien, résultant probablement déjà de mélanges, dont les basques, avec leur langue non indo européenne, seraient les meilleurs témoins actuels. Dans ce mélange l’influence de langues de peuples venus d’Afrique par l’Atlantique, même au cours du 1er millénaire avant J.C. n’est jamais exclue.
 
? l’arrivée, presque partout en Europe occidentale de peuples celtes qui sont connus pour avoir une langue indoeuropéenne, et pour avoir après le milieu du 2e millénaire avant J.C. exploité, pour la première fois en Europe, le fer. Ceci se passait en Autriche, autour de Halstatt. Entre -1000 et -300, probablement en deux vagues avec une pause relative entre -600 et -400, ces peuples ont diffusé la métallurgie du fer dans le sud de l'Allemagne, toute l’Autriche et de l’Est à l'Ouest de la France et dans la péninsule ibérique. C'est ce que les spécialistes nomment les civilisations de Halstatt, puis de La Tène.

  ? la création de colonies côtières en Méditerranée par les Phéniciens, qui avaient une langue sémite dès les alentours du 9e s en relation avec une activité commerciale par bateaux en Méditerranée. Les Phéniciens sont considérés comme ayant apporté l’écriture à de nombreux peuples autour de la Méditerranée.

  ? l’arrivée, plutôt par la mer et autour de l’an 600 avant J.C., de peuples venant de contrées autour de l’empire perse ; celui ci les déloge en s’agrandissant par conquêtes. Parmi eux il y a des Grecs d’Asie Mineure qui installent des  colonies et qui font que le commerce par mer devient alors majoritairement le fait de Grecs. Dans ces « peuples de la mer » il peut y avoir aussi bien des peuples de langue indoeuropéenne que de peuples de langue sémite. 
 
- De façon plus statique, et pour la période entre le 6e s. avant J.C. et l’arrivée des Romains, (vers 200 avant J.C.), une partition macroscopique du territoire est communément présentée comme suit :

  ? dans l’Est et le Sud-Est de la péninsule ibérique vivent des peuples dits «Ibères » par les historiens.

Cependant pour le Roussillon où était située Illiberis on ne sait pas s’il y avait des Ibères ou des peuples d’origine principalement celtique.

  ? au centre et à l’ouest de la péninsule ibérique, il y a des peuples celtes intégrés dans un substrat ethnique plus ancien ; ils sont  nommés souvent « Celtibères » dès l’antiquité.

  ? dans la partie Ouest des Pyrénées il y a des peuples nommés dans l’Antiquité « Aquitains » cités comme présents aussi sur une large région au Nord des Pyrénées centrales et occidentales, ils sont souvent considérés comme ayant à l’époque beaucoup de caractéristiques communes avec les basques actuels.
 
? dans la région située au Nord-Est des Pyrénées , les peuples seraient d’abord des Ligures, ayant une langue proche des langues celtiques,  puis à partir du 3e s. av.J.C. des Celtes (gaulois).

- Concernant  les peuples et les langues dans les pays en Europe occidentale pendant les 2 millénaires avant J.C., je renvoie ceux qui voudraient en savoir plus aux ouvrages nombreux sur la question, et au site Internet référencé en [2]  pour commencer.

- J’ajouterai simplement que les « parentés ethnique et linguistique », supposées par certains auteurs, entre les Aquitains et les Ibères ont engendré, depuis le 19e s., des interprétations des toponymes allant dans le sens de ces parentés . On parle de  la thèse d’un groupe de langues  « basco-ibériques » ou « ibéro-basques », voire « berber-ibero-basques » d’origine non indoeuropéennes [3].

Dans ce cadre le toponyme Illiberis a déjà fait couler beaucoup d’encre ; car il se trouve qu’un nom identique ou similaire a été  donné à 5 sites dont 3 très distants, et 3 dans l’Ouest de la région des Pyrénées; en conséquence ce nom est pris pour un des noms « probants » dans la thèse ibéro-basque, et donc également dans certains travaux sur les peuples ibères (origine, langue, écriture, localisation, relations avec les Aquitains, relations avec les Celtes).

Mon propos dans la suite est surtout d’apporter de nouvelles hypothèses. De ce fait je serais un peu long car il me faut être plus convaincant que les autres thèses ; je dois donc les citer avec leurs arguments.

 

SIGNIFICATIONS REJETÉES

Je présente donc d’abord les 6 hypothèses pour lesquelles, selon moi, les arguments « contre » dominent.

1ère hypothèse, communément retenue : « ville neuve » (ibéro-basque)

Les défenseurs de cette hypothèse fournissent une étymologie en juxtaposant deux racines que l’on retrouve dans les mots basques hiri = ville et berri = neuf.

Ils pensent que la forme iri = domaineèbourg était une forme ancienne de hiri se fondant sur d’anciens toponymes basques (par exemple Iriberri). Ils ajoutent que iri a pu devenir un ili dans la langue d’un peuple venu d’ailleurs ; cette translation de son r au son l n’est pas un phénomène isolé. Ce peuple aurait conservé une partie des toponymes et du vocabulaire « proto-basque » préexistant à son arrivée. On notera que l’argument n’est recoupé par aucune autre information que l’existence dans le pays basque de toponymes anciens avec Iri-/Irri- et des noms avec ili-/Illi-.

Dans cette thèse le suffixe -s, ou -is, pourrait éventuellement correspondre au suffixe -iz des toponymes basques ; il serait alors traduisible par zone de ; ceci n’ajoute rien de fondamental au sens global.

Cette thèse prend appui sur deux faits (voir fig.1)
-- les noms romains d’Auch, Elne et Grenade très distants les uns des autres sont similaires,
-- deux autres noms romains sont similaires au nom antique d’Auch, pour des lieux peu éloignés d’Auch.

Cette thèse s’appuie aussi sur le fait que la forme ili / illi se retrouve dans certains noms de villes situées globalement dans les régions des Pyrénées, ainsi que de l’Est et du Sud de la péninsule Ibérique (Iliba, Ilicis, Illipa, Ilipula, Iliturgi, Iliugo).

Certains auteurs  vont jusqu’à leur associer des noms ne contenant pas le 2e « i » comme Iluxo (devenu Luchon), Iluro (devenu Oloron), Ileosca (devenu Osca), Iltrida (devenu Lleida), Ilorci (devenu Murcia), un autre Iluro (devenu Mataro), et 2 sites nommés Ilurgis.

Ainsi selon ces auteurs cette grande fréquence du début « Il- » présent dans bien d’autres toponymes rendrait plus probable le fait que ce début de nom signifierait «ville».
Certains de ces noms sont cités par les auteurs antiques. Et ces citations ne sont jamais antérieures au milieu du 1er millénaire avant J.C. Les défenseurs de cette hypothèse ont donc suggéré d’attribuer ces noms à un peuple de langue ibèro-basquee, possiblement présent dans tous ces lieux avant la conquête romaine.

Voici mes contre-arguments :

- On peut trouver au moins un exemple d’autre signification du préfixe ili / illi, voire il- qui pourrait s’appliquer à tous les villages et villes cités ci-dessus. En effet la signification, à travers certaines langues indoeuropéennes, « et de l’eau » ou « dans un endroit où il y a de l’eau, ou peut être aussi des limons » ( je détaille cette référence plus loin), pourrait s’appliquer à tous ces lieux ; après vérification via la base de données de photos aériennes Google Earth,  je peux dire qu’il y a toujours un point de ces agglomérations tout proche d’un cours d’eau pouvant justifier cette autre signification.
- Il n’y a pas, ou il y a très peu, de mentions de toponymes antérieures au 6e s. avant J.C., donc on ne peut pas  être certain que ces noms ne sont pas plus anciens que le 6e s. 

- J’argumente plus loin une autre signification que Illiberis = ville neuve  pour les noms antiques des cinq sites utilisés par les partisans de cette thèse (Auch, Elne, Grenade, Lombez et  Lumbier).  
 
En conclusion de ce point, je considère qu’on ne trouve pas dans les différentes études défendant cette 1ère hypothèse un argument définitif pouvant convaincre du fait que ili-/illi-, voire il-, ait signifié « ville », en regard des contre-arguments ci-dessus dont le principal, le troisième, va être détaillé plus loin.

 

2e, 3e, et 4e hypothèses regroupées car liées au mot « Ibères » :
2e = « ville d’Ibères » 
(ibéro-basque)

3e = « ile d’Ibères »  (indoeuropéenne)

4e =  isolat d’Ibères » (indoeuropéenne)

Dès lors que ili/ illi- pourrait signifier  ville  selon la 1ère hypothèse « ibéro-basque », pourquoi ne pas  reconnaître le mot ibères dans une 2e partie qui serait –iberis ? Ainsi le i final de la 1ère partie aurait été fusionné avec celui de la 2e. D’où l’hypothèse ibéro-basque n°2 : « ville ibère ».

Chemin faisant, il est tentant de céder à une autre évidence en rapprochant aussi le début Ili/ illi d’Illiberis des mots catalan et galicien illa = île, qui peuvent très bien, comme le portugais ilha, ne pas venir du latin insula (= île), mais d’un mot d’une autre langue locale exprimant le concept géographique d’île avec l’étymologie qu’on reverra plus loin  i + li (= « et l’eau » puis « dans l’eau »), ayant pu dériver en concept d’isolat.
Ceci m’a conduit aux deux hypothèses numérotées 3 et 4 ci-dessus.

J’ai regroupé ces trois hypothèses, car elles me semblaient toutes significatives d’une même idée : les Ibères seraient venus dans les cités Illiberis (Elne), Iliberris (Grenade) et Elimberris (Auch) aux confins de leur territoire créer une sorte de colonie commerciale isolée au milieu des populations agraires locales.

Ces 3 hypothèses ont un caractère un peu spontané chez certains auteurs contemporains, mais elles ne semblent pas avoir beaucoup de défenseurs.
Contre-arguments :

- Il n’a jamais été trouvé de preuve d’une période d’habitation «ibère» à Elne et à Auch, NB. Il en a été trouvé en Cerdagne.

- l’argument étymologique est moins convainquant que celui des hypothèses n°7, 8 et 9 présentées ci-après.

5e hypothèse lue dans un site internet, que je préfère ne pas citer : « là, on est libre » (latine).

Elle est fondée sur une contraction (crase) de la phrase latine : « Illi liberi sunt » = (mot à mot) « ceux-là sont libres ».

Un contre-argument permet de rejeter cette hypothèse : Supposons que les 2 Illiberis (d’Elne et de Grenade) aient été ainsi des villes « libres de toute autorité externe » au moment de recevoir leur nom, moment situé sûrement avant le 5e s. av. J.C. pour celle de Grenade. Pourquoi auraient-elles choisi un nom latin à une époque où Rome était encore un petit peuple luttant contre ses proches voisins dans la péninsule italienne ? Et de plus c’est un moment où il semble que les langues locales, pour ce qu’on en sait par la recherche sur les langues celte et celtibère, n’avaient probablement rien à voir avec le latin.

6e hypothèse à origine sémitique : « Colline avec des puits » (sémitique).

Cette hypothèse est inspirée par une hypothèse trouvée sur un site internet, que je préfère ne pas citer.
Le nom d’Illiberis proviendrait « du phénicien ou de l'hébreu (Ili + Berith signifiant "Elévation près d'un point d'eau")».

- Certes on peut admettre que des peuplements à langue sémitique aient pu se faire pour Elne et Grenade au 6e siècle avant J.C., voire avant. En particulier une communauté juive importante est citée à Grenade dès le milieu du 1er millénaire avant J.C.
- Les racines sémitiques citées existent  bien : il y aurait  ely  contenant le concept de hauteur et il y a beir signifiant puits ou citerne.
- On peut admettre que la colline d’Elne ait pu être percée de puits, ou équipée de citernes, pour avoir de l’eau buvable si la mer rendait saumâtre l’eau qui l’environnait.
- Contre-arguments : Il me parait exclu d’établir l’existence d’un peuplement antique de langue sémitique à Auch. De même ceux des autres lieux situés en Aquitaine parmi les 16 lieux cités dans la fig.1. ci-après.
- Par ailleurs, ici encore, l
es études des 7e , 8e  et 9e hypothèses ci-dessous présentent des arguments plus convaincants.

SIGNIFICATIONS RETENUES

Etude des lieux ayant un nom similaire à Illiberris

Pour contester avec de bons arguments les hypothèses vues ci-dessus, en particulier la n°1, il me fallait aussi répondre à la question du sens des autres lieux ayant une forme de nom proche de Illiberis.

Non seulement j’ai pris en considération les anciens noms Iliberris et Elimberris respectivement de Grenade et de Auch, mais j’ai aussi pris deux autres lieux dont les noms avaient deux propriétés intéressantes :

- leurs noms antiques étaient similaires à celui d’Illiberis, à savoir Ilumberri et Ilumberris

- leurs noms n’avaient pas été remplacés par un autre, mais avaient simplement évolué au cours du temps en Lombier et Lombez.

J’ai alors, tout logiquement, ajouté tous les lieux d’Europe de l’Ouest qui ressemblaient aujourd’hui à ces 2 noms actuels, en commençant par les « aquitains » Lombres et Lombers, puis en continuant plus loin avec Limbre et Lumbres, et en élargissant à des noms qui pourraient avoir la même étymologie. Puis j’ai été agréablement surpris de ne pas en avoir trop à supprimer sur le critère de la ressemblance de l’environnement physique.

J’en ai sans doute oublié dans le balayage des listes de toponymes ; et le fait que j’ai travaillé sur photos aériennes peut m’avoir conduit à être trop sévère ou pas assez sévère ; toujours est-il que l’argument serait suffisant s’il était vérifié pour les 5 lieux dont on a le nom antique. Or j’ai 10 lieux en plus de ces 5 pour appuyer ma thèse.

Les 16 lieux ainsi sélectionnés sont donnés dans le tableau suivant où je résume leur similitude d’environnement physique, que j’étudie plus précisément juste après.


Zone de Texte:  Fig.1  NOMS DES LIEUX	REGION
(groupe)	CARACTERISTIQUES  (C = Colline / 1 à 3= nombre de bras de rivières au pied / P = terrain plat au pied / points particuliers)
ACTUELS	ANCIENS (date)		
Elne	Illiberis, Illiberris, Eliberri (2e s. av -4e s.ap)	Pyr.Orient. (M)	4C	1R	P	4 collines jointes entourées de la zone limoneuse du delta du Tech dans l’Antiquité
Auch	Eli(u)mberri  (1er s. ap.JC)	Gers (Ox)	1C	2R	P	Encore des traces des marécages (bras de rivière)
Confluent entre 2 rivières près du pied des collines
Grenade	Iliberris (2e s. av. JC)
Elibyrge(6e s. av. JC)	Sud Espagne (M)	2C	3R	P	Colline de l’Alhambra et ville actuelle construite sur les confluents des 3 rivières 
Limbourg	?	Belgique (N)	1C	1R	P	Colline  remarquable en lame dans un étroit méandre
Limburg	Lintpurc (interprété 7e s.)	Allemagne (N)	1C	2R	P	Colline au milieu d’une cuvette qui a pu être limoneuse 
Limbre 	?	Vienne (Ox)	1C	1R	P	Colline dans le méandre d’une rivière
Livron	Livron (1113)	Drôme (P)	1C	1R	P	 Colline en barre avec la Drome très étalée au pied 
Livron	?	Pyr.Atlant. (On)	1C	1R	P	 Colline en barre avec une rivière à méandres au pied 
Lombers	Lombers (1165)	Tarn (Os)	1C	2R	P	Colline conique remarquable. Présence gallo-romaine attestée   
Lombez	Ilumberris(gallo-romain)	Gers (Os)	3C	2R	P	Collines bordées d’un côté d’une zone qui fut limoneuse. 
Lombres	?	Htes.Pyrén (Os) 	2C	2R	P	Entre deux collines et près d’une rivière très limoneuse
Lombron	Lumbrun (1050)	Sarthe (On)	1C	1R	P	Barre de colline près de marais
Luberon	Leberon en provençal	Vaucluse (P)	1C	1R	P	Barre haute avec la Durance très étalée au pied et sur sol plat
Lumbier /
Irunberri	Ilu(m)berri (1er  s. ap.JC)
Lomberri (1039)	Navarre espagnole (Ox)	1C	2R	P	Etroite colline entre 2 rivières ; citée parPline l’ancien. 
Le ‘m’ ne figure pas sur toutes les interprétations de Pline 
Lumbres	?	P-de-Calais(Os)	1C	5R	P	Colline entourée au ¾ par’une rivière rejointe par les 4 autres 
Villefranche
de Conflent	Libera (vers 1090)	Pyr.Orient. (M)	1C	2R	P	Colline remarquable dans Confluent de 2 rivières


Faits géographiques concernant Illibéris / Elne

Au musée d’Elne il y a un dessin où l’auteur reconstitue la forme des collines avant la construction de la ville d’Illiberis ; on y voit quatre  buttes proches dont la plus haute est à 54 m d’altitude surplombant une zone naturellement à une altitude de 12 à 17 m et isolées à environ 1 km à l’Est d’une sorte de plateau  de même hauteur situé entre Ortaffa et Montescot.

Ce plateau se termine en pointe au Mas de Lazerme. Les buttes d’Elne apparaissent comme des buttes témoins d’une avancée plus ancienne de ce plateau. D’ailleurs sur la carte géologique on voit les mêmes terrains du  pliocène pour les buttes que pour le plateau. Ces buttes sont au milieu d’une zone de terrains du quaternaire récent  faite d’alluvions du Tech.

Des archéologues ont retrouvé les traces d’au moins un bras Nord du Tech. Il passait là où est la gare d’Elne pour contourner Elne par le Nord et se jetait dans l’étang de St-Nazaire. Par ailleurs les archéologues ont retrouvé aussi qu’un bras du Tech, plus au Nord que le cours actuel, était passé là où sont les quartiers Sud d’Elne.

En effet il est en général admis qu’au début du 1er millénaire avant JC  le Tech faisait un delta  avec des bras erratiques, et il est prouvé que sur au moins 1500 ans il a déposé des alluvions sur plus d’un mètre d’épaisseur, voire parfois plus de deux mètres, tout autour des collines d’Elne.

Si on regarde maintenant la carte IGN au 25000e on voit de nombreux canaux de toutes tailles couvrant tout l’espace de ces alluvions autour d’Elne et cela s’étend entre le Tech et l’étang de Saint-Nazaire. Cette zone a donc été drainée par les hommes, pour la rendre cultivable. Le paysage d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui vu par les hommes du premier millénaire avant J.C.    

Donc les terrains autour de la colline d’Illiberis étaient probablement, au milieu du 1er millénaire, composés de marais ou de limons le long des divers bras du Tech coulant très lentement sur un sol presque plat, souvent envahi par les inondations  du Tech.

Faits géographiques concernant les autres lieux

Comme on peut le voir sur les photos en Annexe 2, les 14 lieux ayant eu un nom similaire à Illiberis ont des caractéristiques communes d’environnement physique que je formule ainsi :

Ils ont aussi débuté dans l’antiquité sur une, ou des, colline(s) ayant à ses pieds une partie plate contenant une, ou des rivière(s), sur un sol presque horizontal.

Aucun de ces lieux n’est proche de la mer, comme Illiberis/Elne, mais il est tout à fait possible que dans le passé (= avant intervention humaine) les rivières à leur pied ont pu couler dans une zone de marais ou de limons, car la carte des lieux indique toujours une très faible pente, souvent après la sortie d’un cours montagneux. A chaque fois ces limons sont prouvables par la carte géologique du lieu.

De plus pour la plupart de ces lieux, il y a un confluent de rivières tout proche de la colline, ou une boucle de rivière autour de celle-ci.

Enfin il y a eu (et il y a parfois encore actuellement) aussi un fort sur la plupart des collines des lieux présentés en figure 1. On pouvait évidemment s’attendre à cela pour des lieux sécuritaires parce que élevés et entourés partiellement d’eaux ou de marais. Mais il ne m’a été possible de trouver s’il y avait dans ces lieux un fort au moment où le nom a été donné.

J’expose maintenant un résumé de la recherche linguistique pour trouver les racines des noms étudiés [4].

Etymologie de la partie «eli = e+li » ou « ili =i+li » ou « illi = il + li  » , ou de la partie «  lim / lom/ lum / li/ lu»

-- la lettre initiale e, ou i , ou il peut être :

----- soit la conjonction d’origine proto indoeuropéenne e ou i utilisé pour signaler à l’interlocuteur qu’un qualifiant va suivre; dans ce cas l’élément suivant li qualifie probablement l’objet principal –beris.

---- soit la forme prise, devant un  l,  par la racine indo-européenne en / in  signifiant dedans , au milieu de..

-- la partie li , lu , ou bien la partie lim / lom/ lum semblent se rattacher à l’une des 3 racines indoeuropéennes ci-dessous qui sont phonétiquement et sémantiquement très proches (par la relation directe avec l’eau, ou ce qui est liquide) :

? Racine 1 indoeuropéenne, qui prend les formes principales li, lim, lum dans des mots parlant de marais et de limons :   français  lias ,  limon  ; gaulois  liga  =  boue, dépôt, sédiment  ;  latin  limus =  boue, limon , fange  et limosus = boueux ;  mots grecs antiques leimon = lieu humide, et lim = marais ;  dans plusieurs langues germaniques anciennes on a une forme lim, ou proche, signifiant  glaise ; en ancien français on a  lum, lun = marais, zone de boues ; et même mongol lai = limon .
Dans le même sens je peux citer au moins 4 villages situés près de marais et dont le nom semble se rattacher à cette racine : à savoir Limé (Aisne) , Lumes (Ardennes) dont les photos sont en fin d’annexe 2, Limeux (Puy-de-Dôme) et  il y a Limoux (Ariège) qui portait le nom de Limosus en 844 (Remarque :cette dénomination latine n’empêche pas une éventuelle dénomination celtique ressemblante antérieure).
Ce qui précède montre un remplacement possible du i de la racine par un u , voyelle très proche phonétiquement quand elle est devant un m ou un n dans les régions françaises et proches de la France ; mais les photos de Limé et Lumes montrent qu’il n’y a pas de différence de sens .
N.B.
C’est aussi le cas quand il y a un e au lieu du i devant le m ou le n , comme on va le voir dans la racine 2.
? Racine 2 indoeuropéenne, qui prend les formes principales lin, len dans des mots d’origine celtiques signifiant étang ou lac vieux breton lin ; breton lenn ; écossais linne ; gallois llyn ; vieil irlandais lind. ; gaulois linda = là où il y a l’eau ;  lido = lagune à Venise. N.B. La racine lin semble aussi désigner l’eau comme boisson.
N.B. J’ai mis cette racine, car le son n  peut être devenu m devant le b de la 2e partie des noms étudiés.

 ? Racine 3 indoeuropéenne, qui prend la forme principale li en liaison avec ce qui est liquide présente dans les mots suivants: français  liquide, libation, eux même issus de mots latins similaires; grec ancien libos = goutte ; latin elisio = action d’exprimer un liquide. Il semble y avoir aussi, lie, limpide, lymphe ; et en anglais to lie, et en allemand liegen signifiant être à l’horizontal comme l’eau.

Maintenant si on considère aussi sur un plan lexical l’ensemble ili /illi on trouve :

- En grec ilys = limon, et  eleios = ce qui était dans les marais.  On peut y voir la racine 1 ou la 3 précédée de in ou en.

- L’Ile de Ely, au nord ouest de l’Angleterre, est le nom d’origine celte d’une petite ville qui était autrefois tellement au milieu des limons qu’elle était considérée comme une île et qu’elle avait gagné une certaine indépendance de ce fait.

Par rapport à cette étude de racines, qu’observe-t-on dans les 16 noms du tableau :
- Parmi les 16 noms 6 ont la syllabe li ou lu , non suivie de m ; ce sont Illiberis, Iliberris, Libera, Livron (2 fois) et Luberon. Les 10 autres ont à la place la syllabe lim, lom, lum ; il y a là toujours un m, comme dans la racine 1 indoeuropéenne vue ci-dessus.

- 3 des 5 toponymes n’ayant pas le  m  sont ceux des sites d’Elne, de Grenade et du Luberon qui ont eu plus de probabilité d’avoir subi l’influence de colonies grecques  à travers les mots grecs ilys et eleios vus plus haut.  Mais on ne peut exclure complètement un rattachement à la racine 3 n’évoquant que l’état liquide. Heureusement la connaissance des lieux (pieds de collines très limoneux) permet  d’exclure ce cas.
- Les noms qui ont  conservé le  m  peuvent directement être rattachés à la racine 1 citée plus haut à moins que ce soit le  n  de la seconde devenu  m  devant le  b ,  presque toutes les autres citations de mots il y a toujours un m (avec ou sans b derrière), ou un n (quand il n’y a pas de b derrière). Ce point va induire une différenciation possible des significations traitée plus loin. Mais là encore la connaissance des lieux laisse présumer des lieux limoneux.

- Toute cette étude étymologique converge vers une signification probable du début du toponyme caractérisable par deux expressions proches dans leurs significations physiques : « au milieu des limons », « au milieu de marécages », « au milieu d’eau ». Comme il y a une différence sémantique entre ces 3 significations des questions se posent :
---- Comment formuler la différence pour en déduire des critères physiques de choix entre significations ?

---- Les hommes qui ont donné les noms aux 16 lieux étudiés avaient-ils quelques raisons de faire la différence ?
---- Peut-on selon l’environnement des lieux choisir vraiment une signification ou l’autre ?
Pour être rapide je vais résumer mes réponses à ces questions : 
Dans les trois cas il y a de l’eau, et dans deux cas de la boue. Mais dans le cas du limon il y a un lien perceptible entre un cours d’eau en mouvement et les matériaux qu’il apporte dans la zone limoneuse. Dans le cas du marécage, il n’y a pas en d’idée de mouvement de l’eau. Il y a 3000 ans les hommes proches de la nature percevaient probablement la différence entre les 3 cas. En tous les cas les Celtes avaient un mot noua ou nouda  pour désigner une mare. Ce peut-être les linguistes qui ont utilisé des termes quasi-synonymes dans les dictionnaires.
Sauf  les cas de Limbourg et Limbourg, il y a évidence de présence de limons dans tous les sites étudiés. En effet même si les lieux ont été drainés ou mis en étangs dans les temps historiques, on peut imaginer que les cours d’eau ont pu être il y a 3000 ans pleins d’îles de dépôts de limons comme cela apparaît sur la photo où figure la Drôme . J’ai donc décidé de ne conserver que l’expression « au milieu des limons » dans la suite, sauf dans les cas d’exception. Dans ces 2 cas  il y a un courant d’eau sans apparition de dépôts, je retiens la signification « au milieu (ou entouré) d’eau ».

 

Etymologie de la partie « -beris » , et des autres 2e parties des 16 noms du tableau

La fin  -beris ou -berris  peut se rattacher à deux racines indoeuropéennes sémantiquement proches ci-dessous :

? Racine 4 indoeuropéenne qui se reconnaît dans la famille suivante de mots couvrant un concept principal de « hauteur » au sens géographique du terme: angl. : barrow = tumulus ;  catalan barranc = terrain escarpé ; allemand : berg = montagne ;  aryen :  bhergh = hauteur ;  sanskrit brhant = haut ;  vieux persan bard = être haut ;  avestique berez = colline. Dans les anciennes langues celtiques :  monticule = bera (Galles) ;  colline = bri, et  brig (Irlande), = bre (Galles, Corwall, Bretagne), = barro (Gaule) ; ce dernier a probablement plus précisément le sens  colline en forme de barre.

? Racine 5 indoeuropéenne qui prend des formes principales contenant les consonnes successives b,r , g , où le b peut être remplacé par p ou v, et le g par h, k, gh ou dj; elle se reconnaît dans une famille de mots couvrant un concept principal de « place forte élevée » : grec ancien pyrgos = tour élevée, citadelle ; allemand Burg = place forte. Elle a donné le nom de nombreuses villes (Borgo, Burgaz, Burgos, Burgh, Bourg, -borough, Bordj, Bergama/Pergame, Pyrgos). Cette racine a donné nos mots bourg  et  bourgeois.

N.B. Origine étymologique du –s final dans la fin de nom -beris :

A ce stade il est difficile de statuer sur le sens étymologique du s final de Iliberris ; il peut être partie intégrante de la racine comme l’induirait la ressemblance phonétique avec le mot berez en avestique ; mais je pense plutôt à une marque d’un pluriel à travers le complément de lieu (par exemple par l’ablatif pluriel en « -is » du latin). On remarque en effet que ce -s n’est pas présent dans toutes les formes antiques des lieux cités.

- Par ailleurs il est assez clair que la fin bourg, ou burg, des 2 derniers noms Limbourg et Limburg signifient lieu fortifié ou fort, en référence à la racine 5 ci-dessus. D’ailleurs ces toponymes datent plus probablement du Moyen Age.
- Il paraît aussi probable que les noms terminés par –beron, -bron, -vron sont issus de la variante gauloise baro, ou barro, de la racine 4, signifiant barre de collines.  
Cependant, pour les 9 autres noms, il est difficile de dire à ce stade, sans précision sur la langue d’origine, s’ils relèvent de la racine 4 ou de la racine 5, puisque tous les lieux étudiés peuvent avoir eu des fortifications sur une colline.

L’étude géographique et l’étude linguistique font apparaître 3
hypothèses de significations très proches sémantiquement pour le sens des 16 toponymes étudiés :
7e hypothèse : « Citadelle(s) entourée (ou presque) d’eau », identifiée parce que c’est une hypothèse probable pour les deux noms terminés par -bourg/-burg.

8e hypothèse : « Colline(s) dans d’une zone limoneuse », identifiée car c’est une hypothèse déjà assez bien argumentée pour le cas de Elne, et parce qu’elle conviendrait aux 14 autres lieux étudiés.
9e hypothèse : « Barre de collines près d’une zone limoneuse , identifiée parce que c’est une hypothèse probable pour les 4 noms terminés par –bron/ -vron :  Lombron, Livron (2) et Luberon.

Pour
essayer d’avancer sur le choix entre ces hypothèses, je vais approfondir le cas de Grenade parce qu’il nous livrait plus d’informations historiques.

Analyse des anciens noms de Grenade 

Hécatée de Milet, géographe grec vivant autour de 500 av.J.C., a cité la ville qui précéda Grenade, non pas sous le nom Iliberris, mais sous celui d’Elibyrge. Ce nom est très proche phonétiquement de l’expression grecque ancienne, déclinée à l’ablatif (complément de lieu où on est), eliê pyrgê signifiant « (être à) la citadelle (située) dans les limons ».

Alors, comme nous savons par des auteurs latins et grecs qu’une citadelle antique a précédé l’actuel Alhambra, il est tentant de penser que le nom antique Elibyrge du lieu de Grenade a été donné sous cette forme par les Grecs qui circulaient en Méditerranée avant le 6e s.

Dans cette hypothèse Iliberris pourrait être une traduction phonétiquement proche du nom grec, ou d’un nom de même sens donné par les Carthaginois, qui ont occupé la région avant les Romains. Cependant cette traduction est difficile à argumenter sur un plan linguistique car le latin ne semble pas avoir de mot couvrant le concept de fortifications rattachable à la racine 5. Donc j’abandonne cette piste.

Par contre il est reconnu que les auteurs grecs antiques avaient tendance à traduire en grec les noms de lieux dont on connaissait la signification en langue locale. On peut donc penser au fait que Elibyrge est tout simplement une traduction par Hécatée de Milet d’un nom réel local, de la forteresse, voire de la cité. Ce nom local était évidemment encore loin d’être romanisé à son époque.

En fonction des hypothèses indoeuropéennes 7, 8, 9 envisagées plus haut, ce nom local était probablement l’un des noms suivants : Elibere*, Eliberi*, Elimbere*, Elimberi*, Ilibere*, Iliberi*, Ilimbere*, ou Ilimberi*.
N.B. Les versions à double r sont aussi possibles et le singulier de la traduction grecque nous incite à penser qu’il n’y a pas de marque de pluriel à la fin du nom d’origine.

Lorsque la forteresse a été prise par les Carthaginois au 3e s. av.J.C., il est possible qu’elle ait pris un nom ressemblant à Alimbera*,  en adaptation phonétique du nom réel local à la langue du nouveau maître; c’est évidemment l’existence du nom actuel de l’Alhambra qui me fait avancer cette hypothèse ; en un tel cas  Elimbere* semble le nom le plus probable comme nom antérieur dans la liste vue quelques lignes plus haut.

Et ce nom hypothétique Alimbera* a pu être conservé comme nom propre pour désigner la citadelle antique. Cela a pu le figer par rapport à l’évolution du nom de la ville qui est romanisé de son côté au 2e s. avant. J.C. sous la forme Iliberris.
Analysons cette romanisation dans une telle hypothèse :
- On sait que les   initiaux, d’origine grecque par exemple, sont souvent devenu chez les latins.
- Il est possible que le m , s’il était présent dans la langue d’origine du nom, soit disparu avant l’arrivée des Romains,  sans savoir l’origine de cet effet ; mais on a vu d’ailleurs que le mot grec parent n’avait pas de m.
- La fin prend la marque d’une déclinaison latine. Le –is serait celui d’un ablatif pluriel.
En conséquence le nom local du lieu était probablement Eliberes*, qui apparaît comme un possible pluriel de l’Elibere  évolution de l’Elimbere initial déjà vu plus haut.
Il y a en fait deux collines au dessus de la ville actuelle, celle de l’Alhambra et, plus à l’Est, celle où aurait été  le site d’Elvira dont je vais parler.
On ne sait pas comment a évolué le nom latin Iliberris pendant le royaume des Wisigoths ; mais à l’arrivée des Arabes, en 711, le nom d’au moins une partie de la ville, était ou est devenu Elvira.  Le nom Granada est venu lui-même du nom donné au quartier juif par les arabes, quartier qui serait différent de celui où était la ville antique. Cette évolution semble montrer une évolution intermédiaire Elivere*puis Elivera*puis Elvira. Pour arriver à Elivere  les Wisigoths ont pu partir soit du nom romain Illiberris, soit de l’ancien nom de la cité Eliberes*, conservé en langue vernaculaire sous les Romains, soit encore l’ancien nom local de la 2e colline ressemblant probablement à Elibere. Je penche pour ce 3e cas.
Tout ce scénario cohérent sur Grenade, est compatible aussi avec le fait qu’il y ait eu construction d’une citadelle neuve à partir du 9e siècle connue depuis sous le nom d’Alhambra

Je dois aussi préciser que mon esprit critique m’a fait imaginer tout ce scénario concernant l’Iliberris de Grenade, malgré les autres explications de l’origine du nom de l’Alhambra habituellement admises qui sont :

-- l’expression arabe, « Qalat al Hamra » signifiant  château rouge, d’après sa couleur au soleil couchant ,

-- ou bien « château du prince Al Hamra », ce nom étant le surnom supposé de son constructeur.

Mais ces deux explications classiques ont une grosse faiblesse : celle d’avoir donné une origine épenthétique (impossibilité de prononcer m suivi de r ) à l’ajout du b du nom Alhambra. Alors que dans mon scénario le b est conforme à l’origine du nom.

Je récapitule les anciens noms de Grenade  dans un tableau (mes hypothèses sont en italique avec un *)

Epoque

Nom probable du lieu  (+langue)

Nom probable de la forteresse  (+langue)

Traduction en grec (Hécatée) pour la citadelle

Au 5e s. avant J.C.

Elimberes*

Elimbere*
(langue d’origine)

Elibyrge

A partir du 3e s. avant J.C.

Alimberes*ou Aliberres* (carthaginois)

Alimbera* (carthaginois)

-

A partir du 2e s. avant J.C.

Iliberris (latin)

Alimbra* (latin)

-

Du 6e siècle au début du 8e s.

Eliberes* (vernaculaire conservé évoluant vers Elvira (vernaculaire wisigothique)

Alimbra* (vernaculaire)

-

Au 8e s. après J.C.

Elvira (arabe) conservé pour le quartier près de la 2e colline, l’autre quartier (juif) recevant un nom qui deviendra Granada

Alhambra (arabe)

-



 

Finalement ce scénario nous permet de nous orienter vers le rejet l’hypothèse de la racine 5 ( fortifications) comme origine de la partie –berris ;  s’il y avait une forteresse par colline, ce serait contraire au singulier de la traduction d’Hécatée de Millet.
Donc pour ce qui concerne l’Iliberris de Grenade, l’hypothèse correcte pour l’origine test la n°8 « collines dans une zone limoneuse ».
 
Si nous projetons cette étude faite pour Grenade sur ce que nous savons pour Illiberis (Elne) et pour Elimberri (Auch), il y a cohérence entre le nombre de collines (plus d’une pour Elne, une seule pour Auch) et le fait qu’il y ait ou non un  s  en fin du nom latin. Dans ces conditions le s final manquant dans la mention très tardive d’Illimberre pour Elne serait à mettre sur le compte d’une erreur. D’ailleurs la déclinaison latine sur Illiberis peut donner des cas, au pluriel, où le s n’apparaîtrait pas. Par exemple Illiberi / Iliberri pourrait être un cas « sujet pluriel ». Cependant je pense qu’il était plutôt Illimberes ou Iliberres, qui correspondrait au Elimberes* initial et au Elvira final vus pour Grenade.
Le nom d’origine d’Illiberis (Elne) serait en effet aussi probablement Elimberes*comme pour Grenade, et celui d’Auch serait Elimberi* ou Elimbere*(vraiment proches du Elimberri latin)  où le –beri ou le -bere se rapprochent très bien des mots bri (irlandais) et bre (breton, gallois signifiant colline.
L’existence du village de Limbre, évolution crédible simple d’un Elimbere* initial va dans ce sens.

Sur la base de ce qui précède on pourrait penser que Elne pourrait s’appeler Elvire, si elle n’avait pas changé de nom au 4e siècle. Mais il faut prendre en compte le Libera plus proche de Elne de Villefranche de Conflent. Ce Libera du 11e siècle était probablement une évolution locale simple à partir d’un autre hypothétique Elimbere* ou d’un Elibere* ; ce qui est cohérent avec ce qui précède. Donc on peut penser que Elne s’appellerait aujourd’hui Liberes, mais ce serait oublier que le Liberi de Caucho Liberi a évolué en -lliure sous les Catalans. Donc le nom catalan d’Elne supposé resté Illiberis au 4e siècle serait probablement maintenant Lliures*. Aurait-il été francisé en Liourès* ou en Libres*.

Le toponymiste Illibérien L.Bassède aurait probablement aimer se livrer à ce genre de fiction qu’on lit dans son oeuvre. Surtout pour arriver à un nom de ville « remotivé » par l’évocation de la liberté de ses habitants.

Significations proposées par d’autres auteurs pour les 11 autres lieux

J’ai parcouru ci-dessus les significations proposées pour l’Illiberis d’Elne, et ce faisant pour les 4 autres lieux dont le nom antique est connu. Qu’en est-il des significations données pour les 11 autres ?
Je vais passer vite sur ce point peu fructueux pour deux raisons :
-- je n’ai pas fait de recherches profondes, me contentant de la lecture du Dauzat et des sites Internet consacrés à ces lieux
-- j’ai opéré une sélection sévère en ne retenant pas de lieux qui ne répondaient pas bien aux critères physiques, ou qui avaient aussi une interprétation médiévale telles que « louvière », ou « lieu à lièvres ». Pour exemples : Loubers, ex Lobers ( 1261) dans le Tarn,  un Libaros dans les Hautes-Pyrénées, Livré en Ile et Vilaine. J’ai cependant conservé Lubéron malgré le fait qu’il soit souvent expliqué par une relation avec les loups.
Je pense qu’il serait possible de trouver en Europe occidentale plus d’une centaine de villages et lieux-dits qui répondraient à cette interprétation, car c’étaient des lieux recherchés pour s’installer en sécurité avec des terres fertiles proches. Mais 16 preuves peu discutables me paraissent suffisantes.
Les résultats sont les suivants :
Lombers et Lombres sont parfois associés à travers leur ressemblance avec Lombez aux 5 lieux étudiés ayant un nom latin connu. Mais c’est pour leur donner la signification « ville nouvelle »

Certains des noms sont interprétatés à base de noms d’hommes gaulois, romains, francs, etc…supposés avoir été propriétaires des lieux : Livron, Lombers, Lumbres.
Pour Limbourg et Limburg, une relation est faite sur Wikipedia entre avec le fort pour bourg et l’eau via le mot gaulois linda (cf. racine 2).
Pour Lombron le site de la Mairie invoque les limons omniprésents à travers une racine celtique bron qui signifierait limon. Il y a probablement confusion avec le gaulois brai.
Il est assez évident que ces résultats ne sont pas de nature à bousculer mes arguments, donc à changer mon interprétation de Illiberis et de ses 4 cousins ni celle.
N.B.
Par contre j’admets que Luberon puisse signifier longue barre. Ce sont ses similitudes avec Livron que me l’ont fait conserver dans la liste.  

Langues d’origine des hypothèses retenues

Pour aider à trancher sur la signification de chacun des 16 villages étudiés, on peut aussi encore chercher la langue d’origine.
Pour cela on a les positions géographiques des 16 toponymes étudiés. Ainsi que la date la plus ancienne connue pour chacun.
Je commence par des partitions entre les 16 noms pour les traiter par ensembles géographiques
- Groupe M : Les 3 plus proches de la Méditerranée, qui n’ont pas de m en fin de première syllabe.
- Groupe N : Les 2 plus au Nord qui ont la seconde partie rattachable nettement à la racine 5 ( fort, citadelle)
- Groupe P : Les 2 qui sont situés en Provence qui n’ont pas de m en fin de 1ère syllabe et finissant par -on.
- Groupe O : les 9 autres noms qui sont dans une zone Ouest un peu plus large que l’Ouest de la France actuel.

Dans ce groupe je ne fais de sous partition que pour les distinguer par rapport aux lettres finales :
-- sous-groupe On pour les 2 ayant la fin en –bron/ -vron .
-- sous groupe Os pour les 5 ayant a fin en –s
-- sous groupe Ox pour les 2 autres
J’explique pourquoi je ne les distingue pas autrement malgré l’absence parfois du e ou du i initial : , et malgré la variation dans le temps (de u vers o) de la voyelle entre le  l et le m ; car cette variation est probablement l’effet de l’absence de mention antique pour 6 d’entre eux. Or les couples Ilumberri/Lombier et Ilumberris/ Lombez nous incitent à penser que la voyelle devant le l a pu disparaître depuis l’antiquité dans les 8 noms autres que Auch (lui a changé complètement de nom sous l’empire romain).
Par ailleurs la variation de la voyelle ( i, o, u ) entre le l et le m s’explique comme suit :

Le o est du à une évolution normale possible d’un u gallo-romain ; et la racine 1 invoquée pour les hypothèses n° 7 et 8 possède  deux versions avec i ou u selon les lieux. 

J’étudie maintenant la langue possible de chaque groupe dans un ordre non alphabétique.

Cas du groupe O :  langue d’origine celtique
L’étendue du territoire total de ces 9 toponymes sur une zone allant du Pas de Calais à la Navarre, et l’existence prouvée de certains d’eux avant les Romains, ainsi que la correspondance avec le profil étymologique « racines 1 + racine 4 » sont compatibles avec une population d’origine celtique dans tous les lieux étudiés aux environs du début du 1er millénaire. Il n’y a pas d’autre langue commune plus tard autre que le latin, mais on a vu par la discussion sur Iliberis/Grenade que Iliberris/Illiberis ne peut pas et ne doit pas s’interpréter en latin.

Certes il est impossible de dire s’il y a eu une langue commune indoeuropéenne à tous ces lieux avant les Celtes, mais cela reste peu probable selon les spécialistes qui considèrent que les Celtes ont été les premiers acteurs d’apport du patrimoine linguistique indoeuropéen dans l’Europe occidentale.
Les 3 sous groupes déterminent donc une signification :
-- sous-groupe On : Les  noms sont Livron et Lumbron.
Ils sont cohérents sur le terrain avec une fin parente du mot gaulois baro / barro signifiant barre et qui a pu devenir –bron/ vron par chute du a non accentué au centre du nom. Ils relèvent donc de l’hypothèse n° 9.
-- sous groupes Os et Ox.  Ils ne relèvent pas de l’hypothèse n° 9 puisque hors sous-groupe On. J’expliquerai plus loin pourquoi ils ne relèvent pas de la N°7. Ils relèvent donc tous de l’hypothèse n° 8, avec le mot « collines » au pluriel pour les 5  du groupe Os. Un problème se pose pour Lumbres où je ne vois qu’une colline, mais elle est large par rapport à sa hauteur et il se peut que vue du sol elle fasse apparaître plusieurs sommets.  

Cas du groupe M comportant Illiberis (Elne), Iliberris (Grenade)
Je vois la nécessité d’envisager a priori 3 hypothèses  sur la langue d’origine de ces 2 toponymes.  
- Hypothèse M1 : une langue celtique comme pour le groupe O.

La présence de Celtes aux environs du début du 1er millénaire n’est attestée que pour Elne. Cependant pour Grenade, il n’est pas exclu que les Celtes y aient séjourné aussi plusieurs siècles avant le 6e siècle av.J.C. puis aient été conquis et/ou repoussés plus à l’Ouest par un des peuples venus par la mer.
Cette hypothèse est aussi compatible avec l’existence d’un substrat local à 50 kms autour d’Elne de toponymes celtiques pour des lieux remarquables dont les noms n’ont pas été modifiés par les Romains tels que :
- le mont Bugarach, et les villages de Conat, Tarerach, Villerach…
- les autres lieux élevés proches, Albères et Corbières (dénommées Corberes en catalan ) ; de plus, la 2e partie semble relever de la même racine 1 celtique que la 2e partie de Iliberris (voir l’article sur ces noms en Annexe ci-dessous ). Il y a aussi Cerbère qui peut relever de la même étymologie que Corbière. Et Libera (ancien nom de Villefranche de Conflent ) qui a la même étymologie que Illiberis, comme je l’ai expliqué plus haut.
L’absence du m après le li, constaté après la latinisation, pour les 2 lieux pourrait être, comme je l’ai déjà écrit, l’effet de l’emploi majoritaire du grec comme langue des voyageurs et des échanges tout autour de la Méditerranée après le 6e s. avant J.C. , puisque le mot grec elys pour limon ne contient pas de m.
 -
Hypothèse M2 : langue de peuples indoeuropéens venus de l’Est du bassin méditerranéen au 6e s avant J.C.

Je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur les langues de tels peuples indoeuropéens, mais non celtiques. Je peux citer le cas de l’avestique pour montrer que cette hypothèse mérite d’être étudiée.L’avestique est une langue religieuse témoin d’une langue d’un peuple de l’Est du bassin méditerranéen et du 8e siècle av J.C.. Or le mot berez signifiant colline en avestique apparaît comme très proche de la fin d’Illiberis. Cependant  je n’ai pas trouvé comment se disait limon, eau ou marais, dans cette langue ou dans une autre langue indoeuropéenne de contrée proche. Cependant le mongol lai = limon permet de voir que la racine 1 s’est géographiquement largement répendue.  

Le fait d’évoquer ainsi les langues indoeuropéennes des environs caucasiens de la Mer Noire, m’a fait aussi penser aux thèses rapprochant les ibers caucasiens et nos ibères avant le milieu du 2e millénaire ; mais selon les spécialistes la langue des ibers caucasiens ne serait pas indoeuropéenne; il faut donc penser à d’autres peuples à langues indo-européenne chassés par les Perses au 6e s . 

Mais je vois un contre argument à cette hypothèse B: la langue indoeuropéenne de ces migrants présents d’Elne à Grenade après le 6e siècle av. J.C. aurait très probablement une relation avec la langue des Ibères présente dans l’Est de la péninsule ibérique avant la conquête romaine ; pour moi cette hypothèse semble être assez incompatible avec le fait que la langue ibère n’ait pas été encore comprise de nos jours, malgré de nombreuses études.
Je rejette donc cette hypothèse M2.

- Hypothèse M3 :  origine d’un peuple grec ou de langue proche  
Dans cette hypothèses M3 les noms d’origine des lieux d’Elne et de Grenade auraient été donnés par les Grecs, qui peuvent en effet avoir été les premiers possédant une langue indoeuropéenne à être arrivés dans les lieux, après les Phéniciens qui avaient une langue sémite.
L’existence du  nom d’Elibyrge, cité par Hécatée de Milet pour le lieu de Grenade, serait un argument pour cette hypothèse. Mais cette hypothèse tombe, car comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas de bonne explication linguistique à la conversion d’un nom Elibyrge grec vers le nom latin Illiberis, loin phonétiquement et non signifiant en latin.
Je rejette donc cette hypothèse M3.
- Bilan de ces 3 hypothèses sur la langue d’origine du groupe M:
Les contre arguments développés pour les hypothèses M2 et M3 me font basculer en faveur de l’hypothèse M1.
En conséquence les noms Illiberis et Iliberris sont d’origine celtique et se rapportent à l’hypothèse n°8. En effet la n°9 est exclue pour ces 2 lieux à en juger sur la forme de la colline d’Elne ; J’expliquerai plus loin pourquoi l’hypothèse n° 7 semble exclue. 
Groupe P :
langue celtique ou ligure
Les noms des 2 lieux Livron et Luberon sont phonétiquement très proches. Les 2 ont vu le séjour de Celtes. On pourrait aussi leur donner une origine ligure, plutôt que celtique, en nous alignant sur la thèse de la proximité des mots celtes et ligures, qui fait qu’en général les Ligures sont considérés comme branche des Celtes. Mais l’existence d’un Livron dans les Pyrénées Atlantiques où il n’y a pas eu de Ligures pousse à conserver la thèse celtique déjà retenue pour cet autre Livron.

Groupe N : langue d’origine germanique, ou sinon celtique avec germanisation
Pour les 2 noms Limbourg et Limburg dont je n’ai pas l’ancienneté  avant le Moyen Age, l’origine germanique est plus probable dans une combinaison racine1 + racine 5 , car les langues germaniques les plus anciennes contiennent des familles bien distinctes pour la racine 4 (voir en allemand Berg = montagne ) et la racine 5 (voir en allemand Burg = place fortifiée).
En conséquence pour le groupe N la signification du toponyme est « 
Citadelle dans une zone limoneuse » selon la 7e hypothèse mentionnée ci-dessus.

 

Complément pour les groupes M et Os et Ox
Ayant retenu ci-dessus l’origine celtique pour ces groupes, je vois plusieurs raisons de rejeter l’hypothèse n°7 :
- Le même nom de base se voit avec un –s ou sans –s final selon le nombre de collines, donc il y a un lien potentiel. Et il est peu probable d’avoir plus d’un fort même s’il y a plusieurs collines. En tous les cas il n’apparaît jamais plusieurs forts dans les documents consultés.
- Je pense, avec des spécialistes des toponymes datant de la fin de la préhistoire, que les hommes peu nombreux ne donnaient probablement des noms qu’à des lieux remarquables repérés lors de leurs déplacements (par exemple points de repère très distinctif, et points d’installation possible).
- Je constate que le sens de –beris peut être le même « collines » que celui de la deuxième partie des toponymes Albères (= collines hautes) et Corbières (= collines rocheuses) qui sont proches d’Illiberis.


CONCLUSION

 

Ventilation des 16 toponymes entre les hypothèses n° 7, 8 et 9 :
- les 2 toponymes Limbourg et Limburg correspondent à l’hypothèse n° 7 « 
forteresse dans une zone limoneuse »
- les 4 toponymes Limbre, Eli(u)mberri (Auch), Ilumberi (Lumbier), Libera correspondent à une
hypothèse 8a : « Colline dans une zone limoneuse »,
- les 6 toponymes Illiberis (Elne), Iliberris (Grenade), Ilumberris (Lumbez), Lombers, Lombres, Lumbres  correspondent à une
hypothèse 8b : « Collines près d’une zone limoneuse »,
- les 4 toponymes Lombron, les 2 Livron et Luberon, correspondent à l’hypothèse 9 : « barre de collines près d’une zone limoneuse »
 

Pour revenir sur le but de la présente étude, l’origine du nom Illiberis, ancien nom d’Elne,  j’ai retenu  l’hypothèse d’une origine celtique,  avec pour signification : « Collines dans une zone limoneuse » 
Ce nom a été donné probablement par des Celtes de l’une des  migrations importantes,  située entre l’an 1000  et l’an 600 avant J.C..

 

REMARQUES COMPLEMENTAIRES
En marge je précise que ces Celtes sont considérés comme ayant apporté en Roussillon l’art du travail du fer. Il est alors intéressant de rappeler qu’on a trouvé des ateliers de travail du fer près d’Elne ; s’ils datent de la création d’un habitat en ce lieu où il était nécessaire d’apporter le minerai et le bois d’ailleurs, on peut imaginer qu’à l’origine du travail du fer en Roussillon il y ait eu centralisation des ateliers dans l’endroit central et protégeable des attaques ennemies ; cela est cohérent avec le fait que le fer était à l’origine un matériaux précieux, car c’était un moyen de faire des objets (armes, charrues) procurant un différentiel de pouvoir.
Plusieurs auteurs ont imaginé que la ville « riche » de Pyrène avait précédé Illiberis dans son site. Certes ma remarque précédente peut faire imaginer des feux de fours éclairant la nuit la base des premières fortifications. Mais plusieurs arguments balayent cette hypothèse :
- Le nom Pyrène est étymologiquement d’origine grecque. Il faudrait alors que les Grecs aient amené le fer avant les Celtes pour justifier l’image précédente. C’est contraire à toutes les théories sur l’expansion grecque. 
- Le sens du nom celtique transposé phonétiquement en l’Illiberis latin est très probablement un sens premier, car il décrit les propriétés physiques d’un lieu à l’état naturel, ou presque (les habitats du néolitique ne devaient pas envahir la colline, qui justifient qu’on ait décidé de l’habiter.
- J’ai montré dans un autre article que la cité de Pyrène n’avait jamais existé ; c’est un artefact dû à deux fautes de traduction des textes d’Avienus et d’Hérodote.
Malgré cette erreur, il reste du témoignage du poète Avienus que « le pays situé sur le bord des Pyrénées est riche » au milieu du 1er millénaire. Le « commerce avec les habitants de Marseille » semble bien ne pouvoir être que celui du fer, car le rivage partout limoneux à cause de 3 fleuves non domestiqués ne peut permettre l’exploitation du sel qui se fera des siècles plus tard.
Par ailleurs je rappelle que je n’interprète pas Collioure en relation avec Illiberis comme on le voit écrit partout. Voir mon article concernant les villages dénommés au 4e siècle.       


Version résumée de l’étude du nom d’Illiberis :

Le grec Hécatée de Millet (5e s. avant J.C) nous a donné indirectement la piste du sens du toponyme « Illiberis »  en traduisant en grec le nom antique réel, inconnu de nous, d’une citadelle antique. On sait que cette citadelle était construite sur une colline à la place où est actuellement l’Alhambra, elle même située dans la ville de Grenade en Espagne.

Cette traduction en grec ancien était  «Elibyrge», qui peut être traduite  aujourd’hui directement en français par l’expression « tour, place forte ou citadelle dans une zone limoneuse ». Or une étymologie celtique rend compte du fait que cette signification « citadelle… » pourrait dériver naturellement d’une autre signification antérieure  « colline dans une zone limoneuse ».
Comme le nom de la cité où était cette citadelle a été latinisé en un nom pluriel « Iliberris » par les Romains vers l’an -200, on peut supposer que le nom de la cité correspondait à l’origine non pas à une colline, mais aux deux collines présentes dans les lieux. D’ailleurs les toponymes Alhambra et Elvira, encore associés à chacune de ces collines, semblent chacun venir par une histoire différente (le nom de la citadelle aura été mieux conservé) du nom celtique signifiant « colline dans une zone limoneuse ».
Or l’Illiberis, nom ancien de la cité devenue Elne, correspond selon les archéologues à une cité installée  sur 4 collines jointives (« la ville haute ») au milieu des limons laissés par les bras du Tech. Il est donc naturel que ce nom ait pu devenir sous les Romains le même (au doublement des lettres l et r près ) que celui  de la cité des 2 « collines près des limons » ayant précédé Grenade.
Donc Illiberis signifiait probablement aussi à l’origine « collines dans une zone limoneuse »

Cette origine celtique est renforcée par :

- l’existence d’autres noms celtiques des environs d’Elne, dont ceux des Albères et des Corbières qui ont leur 2e partie à partir du « b » répondant à la même signification « collines, hauteurs » que le « –beris / berris » des noms cités. Et surtout Libera (Villefranche) qui est à 60 kms et a la même origine.

- les caractéristiques de l’environnement physique naturel de  12 autres noms de lieux : Elimberris (Auch), Iliberris(Grenade),  Ilumberri (Lombier), Ilumberris (Lombez), Limbre,  Lombers, Lombres,  2 sites nommés Livron, Lubéron, Lumbrès, Lumbron sachant que

--- pour ceux qui n’ont pas de s final,  le mot « colline » est au singulier

--- pour les 4 derniers  le mot « collines » est remplaçable par « barre » d’après l’apparence des lieux.
- le fait que ces 13 lieux ont été dans une large zone de France et d’Espagne occupée plus ou moins longtemps par des Celtes au début du 1er millénaire avant J.C.

 

Michel SAUVANT (ACG  838)
michelsauvant@yahoo.fr
P.S
.   La longueur inhabituelle de cet article vient du fait qu’il est pour le moins délicat de parler de ce sujet après des dizaines de linguistes qui ont étudié les langues « ibériques » antiques. En effet ces linguistes ont fait du nom Illiberis ce nom une sorte de « butte témoin » dans un secteur de la linguistique qu’on pourrait qualifier d’un peu « limoneux », pour faire un bon mot en adaptant l’expression « zone d’ombre » qui figure dans une citation d’auteur en fin de note 3 ;  j’espère donc ne vexer personne, car je pense que nous pouvons admirer tous ceux qui cherchent sérieusement les clés  qui permettraient de comprendre la langue ibère.


Bibliographie 
Les principaux arguments développés par l’article sont de construction personnelle. La bibliographie pour un tel premier article n’est pas complète pour ne pas alourdir ; elle n’est là que pour montrer que j’ai lu l’essentiel de ce qui a été écrit sur les questions abordées.
D’ailleurs pour étayer mon argumentaire, ce sont des dictionnaires et des photos aériennes qui sont le plus parlants. 
Le lecteur possédant un accès à Internet les trouvera sur Internet. Pour les photos aériennes il pourra  utiliser le site de Google Earth et en tapant le nom de chaque lieu cité. Les « manettes » du logiciel permettent de visualiser le relief vu de côté non loin du sol.
J’ai cependant mis des photos extraites de Google Earth  en annexe 2, mais il faut bien reconnaître que le relief reconstitué par bossages de photo aérienne n’est pas propice à une bonne qualité des images.

[1]
Les ouvrages de toponymies de Louis Bassède, de Joan Coromines, d’Albert Dauzat, d’Henri Guiter, de Pierre Ponsich, et de Renata Portet ont été consultés. Aucun n’envisage l’hypothèse défendue ici. Mais il faut dire à leur décharge qu’ils ne disposaient pas d’un accès facile à des bases de données comme celles des photographies aériennes et comme celles des travaux récents en matière d’évolution historique des langues.

[2]
http://209.85.135.104/search?q=cache:I_5NyucB7ysJ:www.mediterranee-antique.info/Thierry_A/ Gaulois/HG_001.htm+illiberis+strabon+ptol%C3%A9m%C3%A9e&hl=fr&ct=clnk&cd=5&gl=fr

[3] « La langue basque ou euskara : incertitudes et faits avérés » par Charles Videgain, professeur à l'université de Pau .2003. Adresse Internet de cet article :                                                                            www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/la_langue_basque_ou_euskara__incertitudes_et_faits_averes.asp  
On trouvera dans ce long article un résumé de l’histoire de la thèse de la langue basco-ibérique, et donc aussi une liste d’auteurs bien trop longue pour figurer ici, d’autant plus que les thèses anciennes sont périmées. L’auteur explique les limites actuelles de la thèse basco-ibérique. Cependant en parlant d’Ilumberris et de Cauco liberis (Collioure), il écrit encore : « Il faut croire que certains mots étaient donc communs au basque et à l'ibère ». N’y a-t-il pas une certaine  ironie dans cette phrase, car l’auteur continue : « La thèse du basco-ibérisme, on le voit, alors même qu'elle n'est plus acceptée aujourd'hui, nous amène avec plus de précision que les parentés lointaines prêtées au basque vers une appréhension plus fine du domaine de langue basque au début de notre ère, malgré les zones d'ombre. »

[4] Divers dictionnaires en particulier ceux du site Internet de Lexilogos.



ANNEXE 1
 -  Significations  des toponymes « ALBERES » ET « CORBIERES »

Il est probable que les 2es  parties des noms des montagnes nommées Albères (Albariae en 875) et Corbières (Corberes en catalan, Corbeiras en 1214 ) viennent de la racine indoeuropéenne 1 illustrée dans l’article sur Illiberis ci-dessus. Ainsi :

- Albères signifierait hautes collines, ou barre haute,

en considérant  que le début viendrait de la racine indoeuropéenne AL, en liaison avec le concept de nourrir/grandir ayant donné entre autres le mot latin altus = haut.

- Corbières signifierait collines rocheuses, ou barre rocheuse,
en considérant que le début Cor- vient de la très classique racine préindoeuropéenne kar / ker / kor = rocher.

 On retrouve cette racine justement aussi dans le toponyme Queribus qui signifie « rochers et buissons » correspondant à un point de cette barre.
- Cerbère (en latin Cervera) signifierait aussi
barre rocheuse, puisque c’est comme cela que les marins antiques  longeant les côtes peuvent avoir perçu le Cap Cerbère qui est long et rocheux devant leur route. Ainsi ce nom serait aussi celtique.
N.B. Le lecteur pourra comparer à l’interprétion ibéro-basque de ces toponymes sur la base des racines

albo = versant   associée à    arri = rocher,  d’une part pour Albères,
ainsi que keru / koru = rocheux dérivée mal expliquée de la racine préindoeuropéenne ker / kor vue plus haut, associée à erri = lieu, endroit, territoire, d’autre part. pour Corbières et  Cerbère.

ANNEXE 2 - Photos des lieux étudiés


POSITIONS DES 15 SITES (hors le site de Libera à situer juste au-dessus d’Elne) SUR LA CARTE D’EUROPE (photo extraite de Google Earth)
N.B. Toutes les parties de terres visibles de la photo, sauf la partie Est de la péninsule ibérique et l’Angleterre ont été habitées par des Celtes durant une grande partie du 1er millénaire av.J.C..


ELNE ex Illiberis (Photo aérienne extraite de Google Earth)

AUCH (ex Eli(u)mberri) (photo extraite de Google Earth)

Histoire de la ville
(extrait du site de la Mairie)
La cité antique occupait l'oppidum de la rive gauche du Gers. Cependant, les légions de Crassus, lieutenant de César, victorieuses des peuples aquitains (vers 56 avant J.C.) fondent une nouvelle cité sur la rive droite, dans la vallée du Gers : Augusta Auscorum,.

 

LUMBIER (ex Ilumberri en Navarre espagnole) (photo extraite de Google Earth)

La cité est sur une colline entre deux rivières qui confluent dans une petite plaine  alluviale située à gauche sur la photo et juste avant la célèbre Gorge de Lumbier.

LOMBEZ  ex Ilumberris dans le Gers (photo extraite de Google Earth)

La photo aérienne en lumière rasante montre bien des collines bordées par une zone avec une rivière à méandres donc presque à l’horizontal. L’étang montre que l’homme a cherché à assainir une ancienne zone marécageuse pour exploiter au mieux les anciens apports de limons.

LOMBERS dans le Tarn (photo extraite de Google Earth)

Cette colline à la forme de cône remarquable a du recevoir son nom à une époque où les peuples encore très nomades avaient besoin de tels repères simples dans leurs déplacements. La vallée devant la colline est large et horizontale.
Des étangs construits un peu partout en amont, ont certainement changé la nature du sol dans la zone du confluent où est installé la cité existant déjà sous les Romains. 
Un château rasé sur ordre de Richelieu était en haut du « Pic de Lombers».

LIVRON dans la Drôme (photo extraite de Google Earth)

La Drôme marécageuse au pied de la barre de collines. Livron est à l’extrémité gauche de cette barre.

LIMBOURG en Belgique (photo extraite de Google Earth).

La forteresse est sur la colline en lame à l’intérieur du méandre.
 


LUBERONdans le Vaucluse (photo extraite de Google Earth)

Une barre montagneuse avec la Durance au pied déposant ses limons dans un cours méandreux pas complètement domestiqué.

LIMBURG en Allemagne (photo extraite de Google Earth)

La colline avec l’ancien château est petite mais bien au milieu d’une zone où la rivière s’étale en plusieurs bras
 

LUMBRES dans le Pas de Calais (photo extraite de Google Earth)

Une colline au trois quart entourée d’un méandre, et encore remarquable aujourd’hui par son isolement au milieu des champs.

Un clin d’œil de l’Histoire : un faubourg de LUMBRES se nomme ELNES

LIVRON dans les Pyrénées Atlantiques (photo extraite de Google Earth)

On voit la barre de collines dominant une rivière qui fait des méandres et des bras multiples entourant le village. Cette barre fait plus de 30 kms de long, et la rivière est un gave descendants des Pyrénées (Lourdes est à 20 kms en amont) qui est pour la première fois presque à l'horizontal

LOMBRES dans les Hautes Pyrénées (photo extraite de Google Earth)

Le village actuel est entre deux collines du piémont des Pyrénées. Le Neste, rivière limoneuse au premier plan, longe à cet endroit le piémont juste après être avoir été un torrent descendant de sommets supérieurs à 3000 m. Cette rivière a pu être plus près du village il y a 3000 ans.

LIBERA ancien nom ( vers 1090) de Villefranche de Conflent (Pyrénées Orientales).

Cette photo extraite de Google Earth, montre le confluent de rivières, la colline remarquable entre les rivières, et le fond de vallée presque horizontal favorable à un dépôt d’alluvions.
Le fort n’a pas été mis sur la colline remarquable, mais sur un épaulement peut-être plus stratégique pour la vue vers l’aval. Ce fort a tout de même presque gardé le nom ancien du site en y ajoutant un i (Liberia au lieu de Libera).

LIMÉ (Aisnes)  (photo extraite de Google Earth)

LUMES (Ardennes)  (photo extraite de Google Earth)

Un nom de village clairement en relation avec un environnement limoneux.



Mise en page - Henri Gélis