- « Illiberis » est le plus ancien
nom connu de la ville d’Elne.
- En fin du 1er s. avant .J.C , ce nom est cité pour la première
fois par l’historien latin Tite-Live, dans un récit du passage du général
carthaginois Hannibal en 218 av.JC.
- Au milieu du 1er s. après J.C., Pomponius
Mela cite « vicus Eliberri » (= village d’Eliberri).
- Vers 70 après J.C., Pline l’Ancien fait de même sous la forme « oppida
Illiberis » (= place fortifiée d’Illiberis). Comme le précédent il
parle de vestiges d’une ville prestigieuse. Ceci s’explique peut-être par le
fait que les Romains avaient délaissé Illiberis pour Ruscino après leur
conquête vers 125 avant .J.C.
- Au début du 1er s. après J.C. le
géographe grec Strabon cite aussi « Ilibirris ». Le géographe
grec Ptolémée parle de Illiberis au 2e s.
- Dans la Table de Peutinger, qui est une copie de copie d’un document antique,
le nom est Illiberre.
- On voit que la graphie varie et il se peut que certains auteurs ne fassent
que s’inspirer des autres.
- Dans les années 330 à 350 après J.C. le nom
d’Illiberis a été remplacé par le nom de Castrum Helenae (= place
forte d’Hélèna), du nom d’une Hélène qui était célèbre à plusieurs
titres : mère de l’empereur romain Constantin, nommée par lui
« Augusta », qu’on peut traduire en «impératrice mère», et enfin
«découvreuse» d’un morceau de la Sainte-Croix à Jérusalem . Hélène est plus
tard devenue une des diverses Saintes Hélène.
- Plus tard, sur plusieurs siècles, le nouveau toponyme a
ensuite évolué vers celui d’Elne.
- Ainsi les premières mentions parlent d’une ville des environs de l’an 200
avant J.C. Les premières traces d’habitat à Illiberis sont datées du 6e
s. av. J.C. par les archéologues.
- Enfin ceux-ci ont aussi attesté du fait que le cours du Tech a été très
variable jusqu’au Moyen Age tout autour de la ville.
- Illiberis pourrait avoir été nommée ainsi avant le 6e s. par des populations difficiles à identifier.
- On ne connaît pas bien les mélanges de peuples qui
se sont faits dans les 1500 ans avant J.C. dans le Roussillon et la péninsule
ibérique. Le schéma dynamique simplifié admis en général fait apparaître :
? un substrat ancien, résultant probablement
déjà de mélanges, dont les basques, avec leur langue non indo européenne,
seraient les meilleurs témoins actuels. Dans ce mélange l’influence de langues
de peuples venus d’Afrique par l’Atlantique, même au cours du 1er
millénaire avant J.C. n’est jamais exclue.
? l’arrivée, presque partout en Europe occidentale de peuples
celtes qui sont connus pour avoir une langue indoeuropéenne, et pour avoir
après le milieu du 2e millénaire avant J.C. exploité, pour la
première fois en Europe, le fer. Ceci se passait en Autriche, autour de
Halstatt. Entre -1000 et -300, probablement en deux vagues avec une pause
relative entre -600 et -400, ces peuples ont diffusé la métallurgie du fer dans
le sud de l'Allemagne, toute l’Autriche et de l’Est à l'Ouest de la France et
dans la péninsule ibérique. C'est ce que les spécialistes nomment les
civilisations de Halstatt, puis de La Tène.
? la création de colonies côtières en Méditerranée par les Phéniciens, qui avaient une langue sémite dès les alentours du 9e s en relation avec une activité commerciale par bateaux en Méditerranée. Les Phéniciens sont considérés comme ayant apporté l’écriture à de nombreux peuples autour de la Méditerranée.
? l’arrivée, plutôt par la
mer et autour de l’an 600 avant J.C., de peuples venant de contrées autour
de l’empire perse ; celui ci les déloge en s’agrandissant par
conquêtes. Parmi eux il y a des Grecs d’Asie Mineure qui installent des
colonies et qui font que le commerce par mer devient alors majoritairement le
fait de Grecs. Dans ces « peuples de la mer » il peut y avoir aussi bien
des peuples de langue indoeuropéenne que de peuples de langue sémite.
- De façon plus statique, et pour la période entre le 6e s. avant
J.C. et l’arrivée des Romains, (vers 200 avant J.C.), une partition macroscopique
du territoire est communément présentée comme suit :
? dans l’Est et le Sud-Est de la péninsule ibérique vivent des peuples dits «Ibères » par les historiens.
Cependant pour le Roussillon où était située Illiberis on ne sait pas s’il y avait des Ibères ou des peuples d’origine principalement celtique.
? au centre et à l’ouest de la péninsule ibérique, il y a des peuples celtes intégrés dans un substrat ethnique plus ancien ; ils sont nommés souvent « Celtibères » dès l’antiquité.
? dans la partie Ouest
des Pyrénées il y a des peuples nommés dans l’Antiquité « Aquitains »
cités comme présents aussi sur une large région au Nord des Pyrénées
centrales et occidentales, ils sont souvent considérés comme ayant à
l’époque beaucoup de caractéristiques communes avec les basques actuels.
? dans la région située au Nord-Est des Pyrénées
, les peuples seraient d’abord des Ligures, ayant une langue proche des langues
celtiques, puis à partir du 3e s. av.J.C. des Celtes (gaulois).
- Concernant les peuples et les langues dans les pays en Europe occidentale pendant les 2 millénaires avant J.C., je renvoie ceux qui voudraient en savoir plus aux ouvrages nombreux sur la question, et au site Internet référencé en [2] pour commencer.
- J’ajouterai simplement que les « parentés ethnique et linguistique », supposées par certains auteurs, entre les Aquitains et les Ibères ont engendré, depuis le 19e s., des interprétations des toponymes allant dans le sens de ces parentés . On parle de la thèse d’un groupe de langues « basco-ibériques » ou « ibéro-basques », voire « berber-ibero-basques » d’origine non indoeuropéennes [3].
Dans ce cadre le toponyme Illiberis a déjà fait couler beaucoup d’encre ; car il se trouve qu’un nom identique ou similaire a été donné à 5 sites dont 3 très distants, et 3 dans l’Ouest de la région des Pyrénées; en conséquence ce nom est pris pour un des noms « probants » dans la thèse ibéro-basque, et donc également dans certains travaux sur les peuples ibères (origine, langue, écriture, localisation, relations avec les Aquitains, relations avec les Celtes).
Je présente donc d’abord les 6 hypothèses pour lesquelles, selon moi, les arguments « contre » dominent.
1ère hypothèse, communément retenue : « ville neuve » (ibéro-basque)
Les défenseurs de cette hypothèse fournissent une étymologie en juxtaposant deux racines que l’on retrouve dans les mots basques hiri = ville et berri = neuf.
Ils pensent que la forme iri = domaineèbourg était une forme ancienne de hiri se fondant sur d’anciens toponymes basques (par exemple Iriberri). Ils ajoutent que iri a pu devenir un ili dans la langue d’un peuple venu d’ailleurs ; cette translation de son r au son l n’est pas un phénomène isolé. Ce peuple aurait conservé une partie des toponymes et du vocabulaire « proto-basque » préexistant à son arrivée. On notera que l’argument n’est recoupé par aucune autre information que l’existence dans le pays basque de toponymes anciens avec Iri-/Irri- et des noms avec ili-/Illi-.
Dans cette thèse le suffixe -s, ou -is, pourrait éventuellement correspondre au suffixe -iz des toponymes basques ; il serait alors traduisible par zone de ; ceci n’ajoute rien de fondamental au sens global.
Cette thèse prend appui sur deux faits (voir fig.1)
-- les noms romains d’Auch, Elne et Grenade très distants les uns des
autres sont similaires,
-- deux autres noms romains sont similaires au nom antique d’Auch, pour des
lieux peu éloignés d’Auch.
Cette thèse s’appuie aussi sur le fait que la forme ili / illi se retrouve dans certains noms de villes situées globalement dans les régions des Pyrénées, ainsi que de l’Est et du Sud de la péninsule Ibérique (Iliba, Ilicis, Illipa, Ilipula, Iliturgi, Iliugo).
Certains auteurs vont jusqu’à leur associer des noms ne contenant pas le 2e « i » comme Iluxo (devenu Luchon), Iluro (devenu Oloron), Ileosca (devenu Osca), Iltrida (devenu Lleida), Ilorci (devenu Murcia), un autre Iluro (devenu Mataro), et 2 sites nommés Ilurgis.
Ainsi selon ces auteurs cette grande fréquence du
début « Il- » présent dans bien d’autres toponymes rendrait plus
probable le fait que ce début de nom signifierait «ville».
Certains de ces noms sont cités par les auteurs antiques. Et ces citations ne
sont jamais antérieures au milieu du 1er millénaire avant J.C. Les
défenseurs de cette hypothèse ont donc suggéré d’attribuer ces noms à un peuple
de langue ibèro-basquee, possiblement présent dans tous ces lieux avant la
conquête romaine.
Voici mes contre-arguments :
- On peut trouver au moins un exemple d’autre
signification du préfixe ili / illi, voire il- qui pourrait
s’appliquer à tous les villages et villes cités ci-dessus. En effet la
signification, à travers certaines langues indoeuropéennes, « et de
l’eau » ou « dans un endroit où il y a de l’eau, ou peut
être aussi des limons » ( je détaille cette référence plus loin),
pourrait s’appliquer à tous ces lieux ; après vérification via la
base de données de photos aériennes Google Earth, je peux dire qu’il y a
toujours un point de ces agglomérations tout proche d’un cours d’eau pouvant
justifier cette autre signification.
- Il n’y a pas, ou il y a très peu, de mentions de toponymes antérieures au 6e
s. avant J.C., donc on ne peut pas être certain que ces noms ne sont pas plus
anciens que le 6e s.
- J’argumente plus loin une autre signification que
Illiberis = ville neuve pour les noms antiques des cinq sites utilisés
par les partisans de cette thèse (Auch, Elne, Grenade, Lombez et
Lumbier).
En conclusion de ce point, je considère qu’on ne trouve pas dans les
différentes études défendant cette 1ère hypothèse un argument définitif pouvant
convaincre du fait que ili-/illi-, voire il-, ait signifié
« ville », en regard des contre-arguments ci-dessus dont le
principal, le troisième, va être détaillé plus loin.
2e, 3e, et 4e
hypothèses regroupées car liées au mot « Ibères » :
2e = « ville d’Ibères »
(ibéro-basque)
3e = « ile d’Ibères » (indoeuropéenne)
4e = isolat d’Ibères » (indoeuropéenne)
Dès lors que ili/ illi- pourrait signifier ville selon la 1ère hypothèse « ibéro-basque », pourquoi ne pas reconnaître le mot ibères dans une 2e partie qui serait –iberis ? Ainsi le i final de la 1ère partie aurait été fusionné avec celui de la 2e. D’où l’hypothèse ibéro-basque n°2 : « ville ibère ».
Chemin faisant, il est tentant de céder à une autre
évidence en rapprochant aussi le début Ili/ illi d’Illiberis des
mots catalan et galicien illa = île, qui peuvent très bien,
comme le portugais ilha, ne pas venir du latin insula (= île),
mais d’un mot d’une autre langue locale exprimant le concept géographique d’île
avec l’étymologie qu’on reverra plus loin i + li (= « et
l’eau » puis « dans l’eau »), ayant pu dériver en concept d’isolat.
Ceci m’a conduit aux deux hypothèses numérotées 3 et 4 ci-dessus.
J’ai regroupé ces trois hypothèses, car elles me semblaient toutes significatives d’une même idée : les Ibères seraient venus dans les cités Illiberis (Elne), Iliberris (Grenade) et Elimberris (Auch) aux confins de leur territoire créer une sorte de colonie commerciale isolée au milieu des populations agraires locales.
Ces 3 hypothèses ont un caractère un peu spontané chez
certains auteurs contemporains, mais elles ne semblent pas avoir beaucoup de
défenseurs.
Contre-arguments :
- Il n’a jamais été trouvé de preuve d’une période d’habitation «ibère» à Elne et à Auch, NB. Il en a été trouvé en Cerdagne.
- l’argument étymologique est moins convainquant que celui des hypothèses n°7, 8 et 9 présentées ci-après.
5e hypothèse lue dans un site internet, que je préfère ne pas citer : « là, on est libre » (latine).
Elle est fondée sur une contraction (crase) de la phrase latine : « Illi liberi sunt » = (mot à mot) « ceux-là sont libres ».
Un contre-argument permet de rejeter cette hypothèse : Supposons que les 2 Illiberis (d’Elne et de Grenade) aient été ainsi des villes « libres de toute autorité externe » au moment de recevoir leur nom, moment situé sûrement avant le 5e s. av. J.C. pour celle de Grenade. Pourquoi auraient-elles choisi un nom latin à une époque où Rome était encore un petit peuple luttant contre ses proches voisins dans la péninsule italienne ? Et de plus c’est un moment où il semble que les langues locales, pour ce qu’on en sait par la recherche sur les langues celte et celtibère, n’avaient probablement rien à voir avec le latin.
6e hypothèse à origine sémitique : « Colline avec des puits » (sémitique).
Cette hypothèse est inspirée par une hypothèse trouvée
sur un site internet, que je préfère ne pas citer.
Le nom d’Illiberis proviendrait « du phénicien ou de
l'hébreu (Ili + Berith signifiant "Elévation près d'un point d'eau")».
- Certes on peut admettre que des peuplements à langue
sémitique aient pu se faire pour Elne et Grenade au 6e siècle avant
J.C., voire avant. En particulier une communauté juive importante est citée à
Grenade dès le milieu du 1er millénaire avant J.C. Etude
des lieux ayant un nom similaire à Illiberris Pour contester avec de bons arguments
les hypothèses vues ci-dessus, en particulier la n°1, il me fallait aussi
répondre à la question du sens des autres lieux ayant une forme de nom proche
de Illiberis. Non seulement j’ai pris en
considération les anciens noms Iliberris et Elimberris respectivement de Grenade
et de Auch, mais j’ai aussi pris deux autres lieux dont les noms avaient deux
propriétés intéressantes : - leurs noms antiques étaient
similaires à celui d’Illiberis, à savoir Ilumberri et Ilumberris - leurs noms n’avaient pas été
remplacés par un autre, mais avaient simplement évolué au cours du temps en
Lombier et Lombez. J’ai alors, tout logiquement, ajouté
tous les lieux d’Europe de l’Ouest qui ressemblaient aujourd’hui à ces 2 noms
actuels, en commençant par les « aquitains » Lombres et Lombers, puis
en continuant plus loin avec Limbre et Lumbres, et en élargissant à des noms
qui pourraient avoir la même étymologie. Puis j’ai été agréablement surpris de
ne pas en avoir trop à supprimer sur le critère de la ressemblance de
l’environnement physique. J’en ai sans doute oublié dans le
balayage des listes de toponymes ; et le fait que j’ai travaillé sur
photos aériennes peut m’avoir conduit à être trop sévère ou pas assez
sévère ; toujours est-il que l’argument serait suffisant s’il était vérifié
pour les 5 lieux dont on a le nom antique. Or j’ai 10 lieux en plus de ces 5
pour appuyer ma thèse. Les 16 lieux ainsi sélectionnés sont
donnés dans le tableau suivant où je résume leur similitude d’environnement
physique, que j’étudie plus précisément juste après.
Faits géographiques concernant Illibéris / Elne
Au musée d’Elne il y
a un dessin où l’auteur reconstitue la forme des collines avant la construction
de la ville d’Illiberis ; on y voit quatre buttes proches dont la
plus haute est à 54 m d’altitude surplombant une zone naturellement à une
altitude de 12 à 17 m et isolées à environ 1 km à l’Est d’une sorte de plateau
de même hauteur situé entre Ortaffa et Montescot. Ce plateau se termine
en pointe au Mas de Lazerme. Les buttes d’Elne apparaissent comme des buttes
témoins d’une avancée plus ancienne de ce plateau. D’ailleurs sur la carte
géologique on voit les mêmes terrains du pliocène pour les buttes que pour le
plateau. Ces buttes sont au milieu d’une zone de terrains du
quaternaire récent faite d’alluvions du Tech. Des archéologues ont
retrouvé les traces d’au moins un bras Nord du Tech. Il passait là où
est la gare d’Elne pour contourner Elne par le Nord et se jetait dans l’étang
de St-Nazaire. Par ailleurs les archéologues ont retrouvé aussi qu’un bras du
Tech, plus au Nord que le cours actuel, était passé là où sont les quartiers
Sud d’Elne. En effet il est en
général admis qu’au début du 1er millénaire avant JC le Tech
faisait un delta avec des bras erratiques, et il est prouvé que sur au moins
1500 ans il a déposé des alluvions sur plus d’un mètre d’épaisseur, voire
parfois plus de deux mètres, tout autour des collines d’Elne. Si on regarde
maintenant la carte IGN au 25000e on voit de nombreux canaux de
toutes tailles couvrant tout l’espace de ces alluvions autour d’Elne et
cela s’étend entre le Tech et l’étang de Saint-Nazaire. Cette zone a donc été
drainée par les hommes, pour la rendre cultivable. Le paysage d’aujourd’hui n’a
rien à voir avec celui vu par les hommes du premier millénaire avant J.C. Donc les terrains
autour de la colline d’Illiberis étaient probablement, au milieu du 1er
millénaire, composés de marais ou de limons le long des divers bras du Tech
coulant très lentement sur un sol presque plat, souvent envahi par les
inondations du Tech. Faits géographiques concernant les autres
lieux Comme on peut le voir
sur les photos en Annexe 2, les 14 lieux ayant eu un nom similaire à
Illiberis ont des caractéristiques communes d’environnement physique que je
formule ainsi : Ils ont aussi débuté
dans l’antiquité sur une, ou des, colline(s) ayant à ses pieds une
partie plate contenant une, ou des rivière(s), sur un sol presque horizontal. Aucun de ces lieux
n’est proche de la mer, comme Illiberis/Elne, mais il est tout à fait possible
que dans le passé (= avant intervention humaine) les rivières à leur pied ont
pu couler dans une zone de marais ou de limons, car la carte des
lieux indique toujours une très faible pente, souvent après la sortie d’un
cours montagneux. A chaque fois ces limons sont prouvables par la carte
géologique du lieu. De plus pour la
plupart de ces lieux, il y a un confluent de rivières tout proche de la
colline, ou une boucle de rivière autour de celle-ci. Enfin il y a eu (et il y a parfois encore
actuellement) aussi un fort sur la plupart des collines des lieux
présentés en figure 1. On pouvait évidemment s’attendre à cela pour des lieux
sécuritaires parce que élevés et entourés partiellement d’eaux ou de marais.
Mais il ne m’a été possible de trouver s’il y avait dans ces lieux un fort au
moment où le nom a été donné. J’expose maintenant un résumé de la recherche
linguistique pour trouver les racines des noms étudiés [4]. Etymologie de la
partie «eli = e+li » ou « ili =i+li » ou « illi = il + li
» , ou de la partie « lim / lom/ lum / li/ lu» -- la lettre initiale e, ou i , ou il
peut être : ----- soit la conjonction d’origine proto indoeuropéenne e
ou i utilisé pour signaler à l’interlocuteur qu’un
qualifiant va suivre; dans ce cas l’élément suivant li qualifie probablement
l’objet principal –beris. ---- soit la forme prise, devant un l, par la
racine indo-européenne en / in signifiant dedans , au
milieu de.. -- la partie li , lu , ou bien la partie
lim / lom/ lum semblent se rattacher à l’une des 3 racines
indoeuropéennes ci-dessous qui sont phonétiquement et sémantiquement très
proches (par la relation directe avec l’eau, ou ce qui est liquide) : ? Racine 1 indoeuropéenne, qui prend les formes
principales li, lim, lum dans des mots parlant de marais et de limons :
français lias , limon ;
gaulois liga =
boue, dépôt, sédiment ; latin limus =
boue, limon , fange et limosus = boueux ; mots
grecs antiques leimon = lieu humide, et limnä
= marais ; dans plusieurs langues germaniques anciennes on a une
forme lim, ou proche, signifiant glaise ; en ancien
français on a lum, lun = marais, zone de boues ; et même mongol
lai = limon . ? Racine 3
indoeuropéenne, qui prend la forme principale li en liaison avec ce qui
est liquide présente dans les
mots suivants: français liquide,
libation, eux même issus de mots latins similaires; grec ancien libos
= goutte ; latin elisio = action d’exprimer un liquide. Il
semble y avoir aussi, lie, limpide, lymphe ; et en
anglais to lie, et en allemand liegen signifiant être à
l’horizontal comme l’eau. Maintenant si on
considère aussi sur un plan lexical l’ensemble ili /illi on
trouve : - En grec ilys =
limon, et eleios = ce qui était dans les marais. On
peut y voir la racine 1 ou la 3 précédée de in ou en. - L’Ile de Ely,
au nord ouest de l’Angleterre, est le nom d’origine celte d’une petite ville
qui était autrefois tellement au milieu des limons qu’elle était considérée
comme une île et qu’elle avait gagné une certaine indépendance de ce fait. Par rapport à cette
étude de racines, qu’observe-t-on dans les 16 noms du tableau : - 3 des 5 toponymes
n’ayant pas le m sont ceux des sites d’Elne, de Grenade
et du Luberon qui ont eu plus de probabilité d’avoir subi l’influence de
colonies grecques à travers les mots grecs ilys et eleios vus
plus haut. Mais on ne peut exclure complètement un rattachement à la racine
3 n’évoquant que l’état liquide. Heureusement la connaissance des lieux (pieds
de collines très limoneux) permet d’exclure ce cas. - Toute cette étude
étymologique converge vers une signification probable du début du toponyme caractérisable
par deux expressions proches dans leurs significations physiques : « au
milieu des limons », « au milieu de marécages »,
« au milieu d’eau ». Comme il y a une différence sémantique entre
ces 3 significations des questions se posent : ---- Les hommes qui
ont donné les noms aux 16 lieux étudiés avaient-ils quelques raisons de faire
la différence ? Etymologie de la partie « -beris » , et
des autres 2e parties des 16 noms du tableau La fin -beris
ou -berris peut se rattacher à deux racines indoeuropéennes
sémantiquement proches ci-dessous : ? Racine 4 indoeuropéenne qui se reconnaît
dans la famille suivante de mots couvrant un concept principal de « hauteur » au
sens géographique du terme: angl. : barrow = tumulus ; catalan
barranc = terrain escarpé ; allemand : berg = montagne ;
aryen : bhergh = hauteur ; sanskrit brhant = haut ;
vieux persan bard = être haut ; avestique berez = colline. Dans
les anciennes langues celtiques :
monticule = bera (Galles) ; colline = bri, et
brig (Irlande), = bre (Galles, Corwall, Bretagne), = barro (Gaule) ;
ce dernier a probablement plus précisément le sens colline en forme de
barre. ? Racine 5 indoeuropéenne qui prend des formes
principales contenant les consonnes successives b,r , g , où le b
peut être remplacé par p ou v, et le g par h, k,
gh ou dj; elle se reconnaît dans une famille de mots
couvrant un concept principal de « place forte élevée » : grec ancien pyrgos = tour élevée,
citadelle ; allemand Burg = place forte. Elle
a donné le nom de nombreuses villes (Borgo, Burgaz, Burgos, Burgh, Bourg,
-borough, Bordj, Bergama/Pergame, Pyrgos). Cette racine a donné
nos mots bourg et bourgeois. N.B. Origine étymologique du –s final dans
la fin de nom -beris : A ce stade il est difficile de statuer sur le sens
étymologique du s final de Iliberris ; il peut être
partie intégrante de la racine comme l’induirait la ressemblance phonétique
avec le mot berez en avestique ; mais je pense plutôt à une marque
d’un pluriel à travers le complément de lieu (par exemple par l’ablatif pluriel
en « -is » du latin). On remarque en effet que ce -s n’est
pas présent dans toutes les formes antiques des lieux cités. - Par ailleurs
il est assez clair que la fin bourg, ou burg, des 2 derniers noms
Limbourg et Limburg signifient lieu fortifié ou fort,
en référence à la racine 5 ci-dessus. D’ailleurs ces toponymes datent plus
probablement du Moyen Age. 8e
hypothèse : « Colline(s) dans d’une zone
limoneuse », identifiée
car c’est une hypothèse déjà assez bien argumentée pour le cas de Elne, et
parce qu’elle conviendrait aux 14 autres lieux étudiés. Hécatée de Milet, géographe grec vivant autour de 500
av.J.C., a cité la ville qui précéda Grenade, non pas sous le nom Iliberris,
mais sous celui d’Elibyrge. Ce nom est très proche phonétiquement de
l’expression grecque ancienne, déclinée à l’ablatif (complément de lieu où on
est), eliê pyrgê signifiant « (être à) la citadelle (située)
dans les limons ». Alors, comme nous savons par des auteurs latins et
grecs qu’une citadelle antique a précédé l’actuel Alhambra, il est tentant de
penser que le nom antique Elibyrge du lieu de Grenade a été donné sous
cette forme par les Grecs qui circulaient en Méditerranée avant le 6e
s. Dans cette hypothèse Iliberris pourrait être
une traduction phonétiquement proche du nom grec, ou d’un nom de même sens
donné par les Carthaginois, qui ont occupé la région avant les Romains.
Cependant cette traduction est difficile à argumenter sur un plan linguistique
car le latin ne semble pas avoir de mot couvrant le concept de fortifications
rattachable à la racine 5. Donc j’abandonne cette piste. Par contre il est reconnu que les auteurs grecs
antiques avaient tendance à traduire en grec les noms de lieux dont on
connaissait la signification en langue locale. On peut donc penser au fait que Elibyrge
est tout simplement une traduction par Hécatée de Milet d’un nom réel local,
de la forteresse, voire de la cité. Ce nom local était évidemment encore
loin d’être romanisé à son époque. En fonction des hypothèses indoeuropéennes 7, 8, 9
envisagées plus haut, ce nom local était probablement l’un des noms
suivants : Elibere*, Eliberi*, Elimbere*, Elimberi*, Ilibere*,
Iliberi*, Ilimbere*, ou Ilimberi*. Lorsque la forteresse a été prise par les Carthaginois
au 3e s. av.J.C., il est possible qu’elle ait pris un nom
ressemblant à Alimbera*, en adaptation phonétique du nom réel
local à la langue du nouveau maître; c’est évidemment l’existence du nom
actuel de l’Alhambra qui me fait avancer cette hypothèse ; en un tel cas Elimbere*
semble le nom le plus probable comme nom antérieur dans la liste vue
quelques lignes plus haut. Et ce nom hypothétique Alimbera* a pu
être conservé comme nom propre pour désigner la citadelle antique. Cela
a pu le figer par rapport à l’évolution du nom de la ville qui est romanisé de
son côté au 2e s. avant. J.C. sous la forme Iliberris. Je dois aussi préciser que mon esprit critique m’a
fait imaginer tout ce scénario concernant l’Iliberris de Grenade, malgré
les autres explications de l’origine du nom de l’Alhambra habituellement
admises qui sont : -- l’expression arabe, « Qalat al Hamra »
signifiant château rouge, d’après sa couleur au soleil couchant , -- ou bien « château du prince Al
Hamra », ce nom étant le surnom supposé de son constructeur. Mais ces deux explications classiques ont une grosse
faiblesse : celle d’avoir donné une origine épenthétique (impossibilité de
prononcer m suivi de r ) à l’ajout du b du nom Alhambra. Alors
que dans mon scénario le b est conforme à l’origine du nom. Je récapitule les anciens noms de Grenade dans
un tableau (mes hypothèses sont en italique avec un *) Epoque Nom probable du lieu (+langue) Nom probable de la forteresse (+langue) Traduction en grec (Hécatée) pour la citadelle Au 5e s. avant J.C. Elimberes* Elimbere* Elibyrge A partir du 3e s. avant J.C. Alimberes*ou Aliberres* (carthaginois) Alimbera* (carthaginois) - A partir du 2e s. avant J.C. Iliberris (latin) Alimbra* (latin) - Du 6e siècle au début du 8e s.
Eliberes* (vernaculaire conservé évoluant
vers Elvira (vernaculaire wisigothique) Alimbra* (vernaculaire) - Au 8e s. après J.C. Elvira (arabe)
conservé pour le quartier près de la 2e colline, l’autre quartier
(juif) recevant un nom qui deviendra Granada Alhambra (arabe) - Sur la base de ce qui précède on pourrait penser que Elne
pourrait s’appeler Elvire, si elle n’avait pas changé de nom au 4e
siècle. Mais il faut prendre en compte le Libera plus proche de
Elne de Villefranche de Conflent. Ce Libera du 11e siècle
était probablement une évolution locale simple à partir d’un autre hypothétique
Elimbere* ou d’un Elibere* ; ce qui est
cohérent avec ce qui précède. Donc on peut penser que Elne s’appellerait
aujourd’hui Liberes, mais ce serait oublier que le Liberi de Caucho
Liberi a évolué en -lliure sous les Catalans. Donc le nom catalan
d’Elne supposé resté Illiberis au 4e siècle serait
probablement maintenant Lliures*. Aurait-il été francisé en Liourès*
ou en Libres*. Le toponymiste Illibérien L.Bassède aurait
probablement aimer se livrer à ce genre de fiction qu’on lit dans son oeuvre.
Surtout pour arriver à un nom de ville « remotivé » par l’évocation
de la liberté de ses habitants. J’ai parcouru ci-dessus les
significations proposées pour l’Illiberis d’Elne, et ce faisant pour les 4
autres lieux dont le nom antique est connu. Qu’en est-il des significations
données pour les 11 autres ? Certains des noms sont
interprétatés à base de noms d’hommes gaulois, romains, francs,
etc…supposés avoir été propriétaires des lieux : Livron, Lombers, Lumbres. Pour aider à trancher sur la signification de chacun
des 16 villages étudiés, on peut aussi encore chercher la langue d’origine. Dans ce groupe je ne fais de sous partition que pour
les distinguer par rapport aux lettres finales : Le o est du à une évolution normale possible
d’un u gallo-romain ; et la racine 1 invoquée pour les
hypothèses n° 7 et 8 possède deux versions avec i ou u selon les
lieux. J’étudie maintenant la langue possible de chaque
groupe dans un ordre non alphabétique. Cas du
groupe O : langue d’origine celtique Certes il est impossible de dire s’il y a eu une langue
commune indoeuropéenne à tous ces lieux avant les Celtes, mais cela reste peu
probable selon les spécialistes qui considèrent que les Celtes ont été les
premiers acteurs d’apport du patrimoine linguistique indoeuropéen dans l’Europe
occidentale. Cas du groupe M comportant Illiberis (Elne), Iliberris (Grenade) La présence de Celtes aux environs du début du 1er
millénaire n’est attestée que pour Elne. Cependant pour Grenade, il n’est pas
exclu que les Celtes y aient séjourné aussi plusieurs siècles avant le 6e
siècle av.J.C. puis aient été conquis et/ou repoussés plus à l’Ouest par un des
peuples venus par la mer. Je n’ai pas trouvé
beaucoup d’informations sur les langues de tels peuples indoeuropéens, mais non
celtiques. Je peux citer le cas de l’avestique pour montrer que cette hypothèse
mérite d’être étudiée.L’avestique est une langue religieuse témoin d’une
langue d’un peuple de l’Est du bassin méditerranéen et du 8e siècle
av J.C.. Or le mot berez signifiant colline en avestique
apparaît comme très proche de la fin d’Illiberis. Cependant je n’ai pas trouvé
comment se disait limon, eau ou marais, dans cette langue
ou dans une autre langue indoeuropéenne de contrée proche. Cependant le mongol
lai = limon permet de voir que la racine 1 s’est géographiquement
largement répendue. Le fait d’évoquer
ainsi les langues indoeuropéennes des environs caucasiens de la Mer Noire, m’a
fait aussi penser aux thèses rapprochant les ibers caucasiens et nos ibères
avant le milieu du 2e millénaire ; mais selon les spécialistes
la langue des ibers caucasiens ne serait pas indoeuropéenne; il faut donc
penser à d’autres peuples à langues indo-européenne chassés par les Perses au 6e
s . Mais je vois un
contre argument à cette hypothèse B: la langue indoeuropéenne de ces
migrants présents d’Elne à Grenade après le 6e siècle av. J.C.
aurait très probablement une relation avec la langue des Ibères présente dans
l’Est de la péninsule ibérique avant la conquête romaine ; pour moi cette
hypothèse semble être assez incompatible avec le fait que la langue
ibère n’ait pas été encore comprise de nos jours, malgré de nombreuses études. - Hypothèse M3 : origine d’un peuple grec ou de langue
proche Groupe N : langue d’origine germanique, ou sinon celtique avec
germanisation Complément pour les
groupes M et Os et Ox
- Les racines sémitiques citées existent bien : il y aurait ely contenant
le concept de hauteur et il y a beir signifiant puits ou
citerne.
- On peut admettre que la colline d’Elne ait pu être percée de puits, ou
équipée de citernes, pour avoir de l’eau buvable si la mer rendait saumâtre
l’eau qui l’environnait.
- Contre-arguments : Il
me parait exclu d’établir l’existence d’un peuplement antique de langue
sémitique à Auch. De même ceux des autres lieux situés en Aquitaine parmi les 16
lieux cités dans la fig.1. ci-après.
- Par ailleurs, ici encore, les études des 7e , 8e et
9e hypothèses ci-dessous présentent des arguments plus convaincants.
SIGNIFICATIONS RETENUES
Dans le même sens je peux citer
au moins 4 villages situés près de marais et dont le nom semble se
rattacher à cette racine : à savoir Limé (Aisne) , Lumes
(Ardennes) dont les photos sont en fin d’annexe 2, Limeux (Puy-de-Dôme) et il
y a Limoux (Ariège) qui portait le nom de Limosus en 844 (Remarque :cette
dénomination latine n’empêche pas une éventuelle dénomination celtique
ressemblante antérieure).
Ce qui précède montre un remplacement possible du i de la racine par un u
, voyelle très proche phonétiquement quand elle est devant un m ou
un n dans les régions françaises et proches de la France ; mais les
photos de Limé et Lumes montrent qu’il n’y a pas de différence de sens .
N.B. C’est aussi le cas quand il y a un e au lieu du i devant
le m ou le n , comme on va le voir dans la racine 2.
? Racine 2
indoeuropéenne, qui prend les formes principales lin, len dans des mots
d’origine celtiques signifiant étang ou lac : vieux breton lin ; breton lenn ;
écossais linne ; gallois llyn ; vieil irlandais lind. ;
gaulois linda = là où il y a l’eau ; lido = lagune à
Venise. N.B. La racine lin semble aussi désigner l’eau comme boisson.
N.B. J’ai mis cette racine, car le son n peut être devenu m devant
le b de la 2e partie des noms étudiés.
- Parmi les 16 noms 6 ont la syllabe li ou lu , non suivie
de m ; ce sont Illiberis, Iliberris, Libera, Livron (2 fois)
et Luberon. Les 10 autres ont à la place la syllabe lim, lom,
lum ; il y a là toujours un m, comme dans la racine 1
indoeuropéenne vue ci-dessus.
- Les noms qui ont conservé le m peuvent directement être
rattachés à la racine 1 citée plus haut à moins que ce soit le n
de la seconde devenu m devant le b ,
presque toutes les autres citations de mots il y a toujours un m (avec
ou sans b derrière), ou un n (quand il n’y a pas de b
derrière). Ce point va induire une différenciation possible des significations traitée
plus loin. Mais là encore la connaissance des lieux laisse présumer des lieux
limoneux.
---- Comment formuler la différence pour en déduire des critères physiques de
choix entre significations ?
---- Peut-on selon l’environnement des lieux choisir vraiment une signification
ou l’autre ?
Pour être rapide je vais résumer mes réponses à ces questions :
Dans les trois cas il y a de l’eau, et dans deux cas de la boue. Mais dans le
cas du limon il y a un lien perceptible entre un cours d’eau en mouvement et
les matériaux qu’il apporte dans la zone limoneuse. Dans le cas du marécage, il
n’y a pas en d’idée de mouvement de l’eau. Il y a 3000 ans les hommes proches
de la nature percevaient probablement la différence entre les 3 cas. En tous
les cas les Celtes avaient un mot noua ou nouda pour désigner
une mare. Ce peut-être les linguistes qui ont utilisé des termes
quasi-synonymes dans les dictionnaires.
Sauf les cas de Limbourg et Limbourg, il y a évidence de présence de limons
dans tous les sites étudiés. En effet même si les lieux ont été drainés ou mis
en étangs dans les temps historiques, on peut imaginer que les cours d’eau ont
pu être il y a 3000 ans pleins d’îles de dépôts de limons comme cela apparaît
sur la photo où figure la Drôme . J’ai donc décidé de ne conserver que
l’expression « au milieu des limons » dans la suite, sauf dans
les cas d’exception. Dans ces 2 cas il y a un courant d’eau sans apparition de
dépôts, je retiens la signification « au milieu (ou entouré)
d’eau ».
- Il paraît aussi probable que les noms terminés par –beron, -bron, -vron sont
issus de la variante gauloise baro, ou barro, de la racine 4,
signifiant barre de collines.
Cependant, pour les 9 autres noms, il est difficile de dire à ce stade, sans
précision sur la langue d’origine, s’ils relèvent de la racine 4 ou de
la racine 5, puisque tous les lieux étudiés peuvent avoir eu des
fortifications sur une colline.
L’étude géographique et l’étude linguistique font apparaître 3 hypothèses de
significations très proches sémantiquement pour le sens des 16 toponymes
étudiés :
7e hypothèse : « Citadelle(s)
entourée (ou presque) d’eau », identifiée parce que c’est une hypothèse
probable pour les deux noms terminés par -bourg/-burg.
9e hypothèse : « Barre
de collines près d’une zone limoneuse , identifiée parce
que c’est une hypothèse probable pour les 4 noms terminés par –bron/
-vron : Lombron, Livron (2) et Luberon.
Pour essayer d’avancer sur le
choix entre ces hypothèses,
je vais approfondir le cas de Grenade parce
qu’il nous livrait plus d’informations historiques.
Analyse des anciens noms de Grenade
N.B. Les versions à double r sont aussi possibles et le singulier de la
traduction grecque nous incite à penser qu’il n’y a pas de marque de pluriel à
la fin du nom d’origine.
Analysons cette romanisation dans une telle hypothèse :
- On sait que les e initiaux, d’origine grecque par
exemple, sont souvent devenu i chez les latins.
- Il est possible que le m , s’il était présent dans la langue d’origine
du nom, soit disparu avant l’arrivée des Romains, sans savoir l’origine de cet
effet ; mais on a vu d’ailleurs que le mot grec parent n’avait pas de m.
- La fin prend la marque d’une déclinaison latine. Le –is serait celui
d’un ablatif pluriel.
En conséquence le nom local du lieu était probablement Eliberes*,
qui apparaît comme un possible pluriel de l’Elibere évolution
de l’Elimbere initial déjà vu plus haut.
Il y a en fait deux collines au dessus de la ville actuelle, celle de l’Alhambra
et, plus à l’Est, celle où aurait été le site d’Elvira dont je vais
parler.
On ne sait pas comment a évolué le nom latin Iliberris pendant le
royaume des Wisigoths ; mais à l’arrivée des Arabes, en 711, le nom d’au
moins une partie de la ville, était ou est devenu Elvira. Le nom
Granada est venu lui-même du nom donné au quartier juif par les arabes,
quartier qui serait différent de celui où était la ville antique. Cette
évolution semble montrer une évolution intermédiaire Elivere*puis
Elivera*puis Elvira. Pour arriver à Elivere
les Wisigoths ont pu partir soit du nom romain Illiberris, soit de
l’ancien nom de la cité Eliberes*, conservé en langue
vernaculaire sous les Romains, soit encore l’ancien nom local de la 2e
colline ressemblant probablement à Elibere. Je penche pour ce 3e
cas.
Tout ce scénario cohérent sur Grenade, est compatible aussi avec le fait qu’il
y ait eu construction d’une citadelle neuve à partir du 9e siècle
connue depuis sous le nom d’Alhambra .
(langue d’origine)
Donc pour ce qui concerne l’Iliberris de Grenade, l’hypothèse correcte pour
l’origine test la n°8 « collines dans une
zone limoneuse ».
Si nous projetons cette étude faite pour Grenade sur ce que nous savons
pour Illiberis (Elne) et pour Elimberri (Auch), il y a cohérence
entre le nombre de collines (plus d’une pour Elne, une seule pour Auch) et le
fait qu’il y ait ou non un s en fin du nom latin. Dans ces
conditions le s final manquant dans la mention très tardive d’Illimberre
pour Elne serait à mettre sur le compte d’une erreur. D’ailleurs la déclinaison
latine sur Illiberis peut donner des cas, au pluriel, où le s
n’apparaîtrait pas. Par exemple Illiberi / Iliberri pourrait être
un cas « sujet pluriel ». Cependant je pense qu’il était plutôt Illimberes
ou Iliberres, qui correspondrait au Elimberes*
initial et au Elvira final vus pour Grenade.
Le nom d’origine d’Illiberis (Elne) serait en effet aussi probablement Elimberes*comme
pour Grenade, et celui d’Auch serait Elimberi* ou Elimbere*(vraiment
proches du Elimberri latin) où le –beri ou le -bere
se rapprochent très bien des mots bri (irlandais) et bre (breton, gallois
signifiant colline.
L’existence du village de Limbre, évolution crédible simple d’un Elimbere*
initial va dans ce sens.
Significations proposées par d’autres auteurs pour les 11 autres lieux
Je vais passer vite sur ce point peu fructueux pour deux raisons :
-- je n’ai pas fait de recherches profondes, me contentant de la lecture du
Dauzat et des sites Internet consacrés à ces lieux
-- j’ai opéré une sélection sévère en ne retenant pas de lieux qui ne
répondaient pas bien aux critères physiques, ou qui avaient aussi une
interprétation médiévale telles que « louvière », ou « lieu à
lièvres ». Pour exemples : Loubers, ex Lobers ( 1261) dans le Tarn,
un Libaros dans les Hautes-Pyrénées, Livré en Ile et Vilaine. J’ai cependant
conservé Lubéron malgré le fait qu’il soit souvent expliqué par une
relation avec les loups.
Je pense qu’il serait possible de trouver en Europe occidentale plus d’une
centaine de villages et lieux-dits qui répondraient à cette interprétation, car
c’étaient des lieux recherchés pour s’installer en sécurité avec des terres
fertiles proches. Mais 16 preuves peu discutables me paraissent suffisantes.
Les résultats sont les suivants :
Lombers et Lombres sont parfois associés à travers leur ressemblance avec
Lombez aux 5 lieux étudiés ayant un nom latin connu. Mais c’est pour leur
donner la signification « ville nouvelle »
Pour Limbourg et Limburg, une relation est faite sur Wikipedia entre avec le
fort pour bourg et l’eau via le mot gaulois linda (cf. racine 2).
Pour Lombron le site de la Mairie invoque les limons omniprésents à travers une
racine celtique bron qui signifierait limon. Il y a probablement
confusion avec le gaulois brai.
Il est assez évident que ces résultats ne sont pas de nature à bousculer mes arguments,
donc à changer mon interprétation de Illiberis et de ses 4 cousins ni celle.
N.B. Par contre j’admets que Luberon puisse signifier longue
barre. Ce sont ses similitudes avec Livron que me l’ont fait conserver dans
la liste.
Langues d’origine des hypothèses retenues
Pour cela on a les positions géographiques des 16 toponymes étudiés. Ainsi que
la date la plus ancienne connue pour chacun.
Je commence par des partitions entre les 16 noms pour les traiter par ensembles
géographiques
- Groupe M : Les 3 plus proches de la Méditerranée, qui n’ont pas
de m en fin de première syllabe.
- Groupe N : Les 2 plus au Nord qui ont la seconde partie
rattachable nettement à la racine 5 ( fort, citadelle)
- Groupe P : Les 2 qui sont situés en Provence qui n’ont pas de m
en fin de 1ère syllabe et finissant par -on.
- Groupe O : les 9 autres noms qui sont dans une zone Ouest un peu
plus large que l’Ouest de la France actuel.
-- sous-groupe On pour les 2 ayant la fin en –bron/ -vron .
-- sous groupe Os pour les 5 ayant a fin en –s
-- sous groupe Ox pour les 2 autres
J’explique pourquoi je ne les distingue pas autrement malgré l’absence parfois
du e ou du i initial : , et malgré la variation dans le
temps (de u vers o) de la voyelle entre le l et le m ;
car cette variation est probablement l’effet de l’absence de mention antique
pour 6 d’entre eux. Or les couples Ilumberri/Lombier et Ilumberris/
Lombez nous incitent à penser que la voyelle devant le l a pu
disparaître depuis l’antiquité dans les 8 noms autres que Auch (lui a changé
complètement de nom sous l’empire romain).
Par ailleurs la variation de la voyelle ( i, o, u ) entre le l et le m
s’explique comme suit :
L’étendue du territoire total de ces 9 toponymes sur une zone allant du Pas de
Calais à la Navarre, et l’existence prouvée de certains d’eux avant les
Romains, ainsi que la correspondance avec le profil étymologique « racines
1 + racine 4 » sont compatibles avec une population d’origine celtique
dans tous les lieux étudiés aux environs du début du 1er millénaire.
Il n’y a pas d’autre langue commune plus tard autre que le latin, mais on a vu
par la discussion sur Iliberis/Grenade que Iliberris/Illiberis ne peut pas et
ne doit pas s’interpréter en latin.
Les 3 sous groupes déterminent donc une signification :
-- sous-groupe On : Les
noms sont Livron et Lumbron.
Ils sont cohérents sur le terrain avec une fin parente du mot
gaulois baro / barro signifiant barre et qui a pu devenir –bron/
vron par chute du a non accentué au centre du nom. Ils relèvent donc de
l’hypothèse n° 9.
-- sous groupes Os et Ox. Ils ne relèvent pas de l’hypothèse n° 9
puisque hors sous-groupe On. J’expliquerai plus loin pourquoi ils ne
relèvent pas de la N°7. Ils relèvent donc tous de l’hypothèse n° 8, avec
le mot « collines » au pluriel pour les 5 du groupe Os. Un problème
se pose pour Lumbres où je ne vois qu’une colline, mais elle est large par
rapport à sa hauteur et il se peut que vue du sol elle fasse apparaître
plusieurs sommets.
Je vois la nécessité d’envisager a priori 3 hypothèses sur la
langue d’origine de ces 2 toponymes.
- Hypothèse M1 : une langue celtique comme pour le groupe O.
Cette hypothèse est aussi compatible avec l’existence d’un substrat
local à 50 kms autour d’Elne de toponymes celtiques pour des lieux
remarquables dont les noms n’ont pas été modifiés par les Romains tels que
:
- le mont Bugarach, et les villages de Conat, Tarerach, Villerach…
- les autres lieux élevés proches, Albères et Corbières (dénommées
Corberes en catalan ) ; de plus, la 2e partie semble
relever de la même racine 1 celtique que la 2e partie de Iliberris
(voir l’article sur ces noms en Annexe ci-dessous ). Il y a aussi
Cerbère qui peut relever de la même étymologie que Corbière. Et Libera (ancien
nom de Villefranche de Conflent ) qui a la même étymologie que
Illiberis, comme je l’ai expliqué plus haut.
L’absence du m après le li, constaté après la latinisation,
pour les 2 lieux pourrait être, comme je l’ai déjà écrit, l’effet de l’emploi
majoritaire du grec comme langue des voyageurs et des échanges tout autour de
la Méditerranée après le 6e s. avant J.C. , puisque le mot grec elys
pour limon ne contient pas de m.
- Hypothèse M2 : langue de peuples indoeuropéens venus de l’Est du bassin méditerranéen
au 6e s avant J.C.
Je rejette donc cette hypothèse M2.
Dans
cette hypothèses M3 les noms d’origine des lieux d’Elne et de Grenade auraient
été donnés par les Grecs, qui peuvent en effet avoir été les premiers possédant
une langue indoeuropéenne à être arrivés dans les lieux, après les Phéniciens
qui avaient une langue sémite.
L’existence du nom d’Elibyrge, cité par Hécatée de Milet pour le lieu
de Grenade, serait un argument pour cette hypothèse. Mais cette hypothèse
tombe, car comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas de bonne explication linguistique
à la conversion d’un nom Elibyrge grec vers le nom latin Illiberis, loin
phonétiquement et non signifiant en latin.
Je rejette donc cette hypothèse M3.
- Bilan de ces 3 hypothèses sur la langue d’origine du groupe M:
Les contre arguments développés pour les hypothèses M2 et M3 me font basculer
en faveur de l’hypothèse M1.
En conséquence les noms Illiberis et Iliberris sont d’origine celtique et se
rapportent à l’hypothèse n°8. En effet la n°9 est exclue pour ces 2 lieux à en
juger sur la forme de la colline d’Elne ; J’expliquerai plus loin pourquoi
l’hypothèse n° 7 semble exclue.
Groupe P : langue celtique ou ligure
Les noms des 2 lieux Livron et Luberon sont phonétiquement très proches. Les 2
ont vu le séjour de Celtes. On pourrait aussi leur donner une origine ligure,
plutôt que celtique, en nous alignant sur la thèse de la proximité des mots
celtes et ligures, qui fait qu’en général les Ligures sont considérés comme
branche des Celtes. Mais l’existence d’un Livron dans les Pyrénées Atlantiques
où il n’y a pas eu de Ligures pousse à conserver la thèse celtique déjà retenue
pour cet autre Livron.
Pour
les 2 noms Limbourg et Limburg dont je n’ai pas l’ancienneté avant le Moyen
Age, l’origine germanique est plus probable dans une combinaison racine1 +
racine 5 , car les langues germaniques les plus anciennes contiennent
des familles bien distinctes pour la racine 4 (voir en allemand Berg = montagne
) et la racine 5 (voir en allemand Burg = place fortifiée).
En conséquence pour le groupe N la signification du toponyme est « Citadelle dans une
zone limoneuse » selon la 7e hypothèse mentionnée ci-dessus.
Ayant
retenu ci-dessus l’origine celtique pour ces groupes, je vois plusieurs raisons
de rejeter l’hypothèse n°7 :
- Le même nom de base se voit avec un –s ou sans –s final selon
le nombre de collines, donc il y a un lien potentiel. Et il est peu probable
d’avoir plus d’un fort même s’il y a plusieurs collines. En tous les cas il
n’apparaît jamais plusieurs forts dans les documents consultés.
- Je pense, avec des spécialistes des toponymes datant de la fin de la
préhistoire, que les hommes peu nombreux ne donnaient probablement des noms qu’à
des lieux remarquables repérés lors de leurs déplacements (par exemple points
de repère très distinctif, et points d’installation possible).
- Je constate que le sens de –beris peut être le même
« collines » que celui de la deuxième partie des toponymes Albères (=
collines hautes) et Corbières (= collines rocheuses) qui sont proches
d’Illiberis.
CONCLUSION